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plexe, partant plus facilement intelligible que dans la dernière manière de Wagner. Les contre-chants et les parties fuguées sont fréquents. Une grande austérité de forme, des mouvements de passion et de bravoure très vigoureux, peu ou point de banalité dans les tours mélodiques, voici les qualités maîtresses de l’œuvre. Le sujet est à peu près le même que celui de la Walkure (seconde partie de la trilogie de Beyreuth). Toutefois, MM. Édouard Philippe et Blau, auteurs du livret, l’ont allégé du plus de fantasmagorie possible, et ont fait de Sigurd un guerrier, un homme tourmenté par les divinités infernales, plutôt qu’un génie luttant contre d’autres génies.

Je suis obligé de me contenter de ces appréciations générales, car il faudrait vingt pages pour commencer à parler d’un opéra de l’importance de Sigurd, et je passe à une composition bien pauvre, la Farandole, de M. Théodore Dubois, à l’Opéra. Il ne manque à ce ballet qu’une farandole, le soleil, l’air, le bleu, les cigales, la douce mélancolie du Midi. Tout cela a été magistralement chanté par un maître musicien, Alphonse Daudet, dans Numa Roumeslan, dans les Lettres de mon moulin, et ailleurs. Tout cela peut s’exprimer, si l’on possède une grande délicatesse de toucher et de sentiment, quand on a eu le cœur doucement remué, longuement bercé, et qu’on a pleuré quelquefois. M. Théodore Dubois, avec beaucoup de talent, était trop du Nord pour aborder un pareil sujet ; qu’il fasse autre chose. Je sais trois pages de Paladihle, sur les vers de Daudet, qui valent cent fois son ballet el en disent davantage.

Ce n’est pas que la musique de la Farandole ne soit bien faite, soignée, moderne, et je la préfère, à tout prendre, à celle de Siéba, d’un italianisme échevelé, saupoudré de quelques accords allemands. Au surplus, on va à l’Eden-Théâtre pour Corinthe et non pour la musique : en haut, c’est un magnifique marché aux esclaves (sans marchands), décoré à la turque avec un grand luxe. Un vaste promenoir a vue sur deux immenses harems ouverts, aux quatre coins desquels détone le champagne. Les esclaves n’y circulent point nues, mais très richement parées. En bas, et aussi au balcon, il y a un public pour voir les danses dans des décors et des costumes d’une splendeur inconnue jusqu’ici, et, surtout, une très remarquable danseuse, mademoiselle Zucchi (Siéba). C’est un fort beau spectacle et une très belle salle.

Une très belle salle aussi, le dimanche, à Colonne, comme toujours, et cela me tient plus fort au cœur que tous les ballets du monde. On y a donné plusieurs fois le Manfred de Schumann, avec le succès ordinaire ; les Scènes alsaciennes de Massenet, qui contiennent ce si joli duo, toujours bissé frénétiquement, Sous les tilleuls, une scène de cabaret, qui ne ressemble pas à une scène de cabaret, mais qui est ravis-