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s’imposant de toute évidence, nous pourrions, d’ores et déjà, formuler nos conclusions, que l’on devine. Mais, auparavant, nous tenons à faire remarquer qu’entre autres œuvres, Alexandre Dumas a laissé un rejeton de beaucoup d’influence, — à induire, par conséquent, que, dans la canonisation posthume de l’auteur de la Reine Margot, il a pu entrer quelque courtisanerie à l’adresse de l’auteur du Demi-Monde. Maintenant, nous espérons bien, après cette observation dernière qui renforce si puissamment notre argumentation générale, en rend l’évidence, pour ainsi dire, double, ne plus étonner personne en affirmant que l’apothéose de Dumas n’a été que l’apothéose de la « copie ».

Après quoi, la glorification de Balzac, pour des raisons analogues et par les mêmes gens, pouvait-elle ne pas être injurieuse ? Car — et à peine est-il utile d’insister — ce n’est point l’épopée parisienne du Père Goriot où Balzac atteint Shakespeare, point l’analyse de ce Grandet où il dépasse Molière de beaucoup, qu’on a eu la prétention de célébrer ; ni l’éloquence de ses Vautrin, ni l’esprit de ses Bixiou ; ni cette formidable question d’argent à laquelle, le premier, il a donné dans l’art la place qu’elle tient dans la vie ; ni l’esprit scientifique dont, immédiatement après Stendhal, il a galvanisé la littérature ; enfin, nulle de ses trouvailles d’oseur, nul de ses génies de grand homme. Car, ce qu’on a voulu glorifier en lui, comme en Dumas et après, c’est, uniquement, les quatre-vingts volumes édités chez Michel Lévy. Comme si c’était à leur poids de papier que se pèse la valeur des œuvres !

Et qu’on ne nous accuse ni de fantaisie ni d’exagération. Et qu’on relise l’étrange lettre-circulaire de M. Emmanuel Gonzalès, qui, parce que commissaire de la Société des gens de lettres, a cru pouvoir s’adjuger les charges d’un connétable de la littérature. Et qu’on réfléchisse sur le parallèle tenté entre l’aimable conteur des Trois Mousquetaires et le prodigieux créateur de la Comédie humaine. Et quelqu’un n’a-t-il pas encore conseillé de placer leurs statues face à face ? Et ne peut-on s’attendre à la proposition de garnir les angles restés vides de la place Malesherbes d’autres gloires de librairie ? Et alors ne frémit-on pas des compagnonnages possibles, disons le mot, des promiscuités déshonnêtes ? Et que réconfortant sera le spectacle du génie jouant aux quatre coins avec l’imbécillité !

Personne ne se méprendra, nous l’espérons bien, sur le véritable sens de ces observations, ne l’étendra jusqu’à la prohibition que nous ferions à tels ou tels de se prosterner devant les idoles qui leur conviennent. On n’a, somme toute, que les admirations qu’on mérite ; et nous ne voyons nul inconvénient à ce que nous n’ayons pas tous les mêmes. Mais, cela accordé, pourquoi ceux des littéraires que, justement, Balzac ne passionne guère, qui n’ont pour lui ni nos entrailles de fils, ni nos vénérations de dévots, ne se dispenseraient-ils pas de