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on tient compte de l’âpreté mise à en tirer profit, à tendre le chapeau, cju’on vient de lever, à la façon d’une aumônière de réclame ; et, plus particulièrement encore, si l’on étudie les procédés de mauvaise camaraderie mis en œuvre pour indigner les filiations les plus autorisées, les dévouements les plus glorieux qui, devant l’envahissement des marchands du temple des lettres, ont dû se proscrire d’eux-mêmes. Il va de soi que, pour amener cette retraite, la haine littéraire des thuriféraires inattendus que l’on sait a dû intervenir, se manifester de façon à changer en outrage l’hommage qu’elle faisait mine de rendre. Cela, sans s’éperonner, sans s’exciter, peut-être sans préméditation aucune, et parce qu’elle ne pouvait agir autrement. Il sied d’ajouter qu’elle s’est, en cette circonstance, assez habilement dosée d’admiration conventionnelle pour, à défaut de la gent artistique qu’elle ne voulait ni ne pouvait duper, s’attirer les bonnes grâces de la galerie, qui paie.

Il nous reste, justement pour mettre sur ses gardes cette galerie, à caractériser la nature de l’outrage, et, pour ce, l’historique de la statue Dumas, à laquelle doit faire suite (!) la statue Balzac, est de toute utilité. Cependant, avant de l’aborder, il nous faut le déblayer d’une question adjacente. Plus d’un, en effet, a pu s’étonner qu’en ce dix-neuvième siècle, qui sera le siècle scientifique de l’évolution moderne, alors que l’observation est devenue le devoir essentiel de notre esthétique et la vérité la moelle même de l’art, on ait pu songer à mettre sur piédestal cet amuseur de Dumas. À cet étonnement la réponse, à côté mais suffisante, sera que règnent la statuomanie et la réclame ; la réponse essentielle, que toutes les contemporanéités sont forcément tendres à ceux qui ont uniquement travaillé pour leur temps, forcément sévères à ceux qui ont eu l’ambition de la postérité. D’où, d’une part, Stendhal, Balzac, Fourier, Karl Marx dédaignés ou niés ; d’où, d’autre part, Ricard, Ponsard, Albert Joly, Thiers, Gambetta, Chanzy, tous les hommes du jour et d’un jour, glorifiés sans mesure. Et, cette loi historique prise en considération, le bronze de Dumas ne sonne déjà plus aussi faux dans le concert des acclamations journalières. Quand un Ricard, ce Mirabeau de la Convention des Ruraux, ce Richelieu d’un quart d’heure de Septennat, étale sa bedaine monacale sur une place de chef-lieu de préfecture, Alexandre Dumas, ce vivant, on pourrait dire, en épurant l’expression, ce viveur d’un demi-siècle, peut bien épanouir son rire de lutteur bon enfant dans un coin de carrefour de capitale. Notre relative sympathie ainsi affirmée, nous serons d’autant plus à l’aise pour étudier la signification de l’hommage que les compères du feuilleton ont rendu au plus grand des feuilletonistes, pour considérer d’abord la qualité première du glorifié, ensuite la qualité qui devait être le plus goûtée des glorificateurs. Et, la fécondité