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SUR LE VIF

Bal de Cuisiniers.

Minuit ! Le porche du Palace-Théâtre vient de vomir la foule des spectateurs que la curiosité ou le désœuvrement a poussés dans son enceinte ; tout ce monde s’est écoulé lentement, tranquillement et le silence s’est établi, à peine troublé de temps à autre par le bruit d’un passant attardé ou le roulement crépitant d’un sapin sur le pavé…

Tout à coup une étrange animation vient rompre la paix profonde de cette rue, placide entre toutes les rues…

Des hommes à grands manteaux, des femmes encapuchonnées surgissent des carrefours ; les fiacres affluent, et de leurs flancs s’échappent des chrysalides humaines n’attendant pour éclore et faire briller aux yeux leurs ailes de papillons que la lumière et la chaleur.

Debout sous le péristyle illuminé du Palace, le claque sous le bras, cravatés de blanc, écharpés des trois couleurs, des messieurs à favoris, qui ne sont cependant ni des magistrats, ni des maires, reçoivent les arrivants. Saluez, messieurs ! — Vous avez devant vous le syndicat des cuisiniers parisiens ! Le plus âgé, celui que ses longues moustaches et ses cheveux grisonnants coupés courts font ressembler à un officier en retraite, c’est le père Frémiot, le grand chef du Lion d’or, Trente ans de cuisine lui ont valu l’honneur de la présidence.

Quoique gêné par son habit noir, aidé des jeunes commissaires, il fait les honneurs de céans ; les manteaux de dames s’envolent à sa prière, et c’est un éblouissement de gorges et d’épaules nues. De longs gants montant au coude cachent les mains un peu rouges des darnes ; mais je sais plus d’une marquise qui envierait à sa femme de chambre les trésors que la solennité de ce jour lui permet de dévoiler !

Cependant la salle de bal s’emplit. On se montre dans la foule les célèbres, les illustres, ceux que la gloire a été couronner dans les sous-sols de Bignon et de Brébant. Ce sont les artistes ! On les envie tout bas, on se les dispute, on se les arrache ! Quel honneur de s’abandonner aux bras d’un de ces hommes utiles dans les tourbillons de la