Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LE CHARLATAN

I

Maintenant qu’il n’est plus, rien ne s’oppose à ce que l’on crève d’un coup de plume l’enveloppe de mystère qui recouvrait sa vie.

Mais il faut d’abord tracer sa silhouette.

Il était de courte taille, et portait dans toute sa personne cet air de déchéance navrée auquel on reconnaît les anciens cabotins culbutés par l’âge, des illusions de la rampe, dans les réalités noires de la misère.

Toujours vêtu d’une redingote de drap marron qui montrait la trame et d’un pantalon gris, sans doute inusable, coiffé d’un feutre épilé, le cou serré dans les trois tours d’un foulard de satin râpé qui ne laissa jamais déborder le moindre liséré de chemise, chaussé de souliers plats, il marchait d’un pas traînard, la tête courbée, la main appuyée sur un gros jonc commun à pomme de corne.

Il y a tantôt trente ans qu’il apparut pour la première fois aux yeux étonnés des habitants de Guiville, — une gentille sous-préfecture de l’Ouest, pas très éloignée de Paris. Pendant tout ce temps sa physionomie ni son aspect n’avaient subi le moindre changement. Tel on l’avait vu à son arrivée, tel il était dans ses derniers jours. Les rides profondes qui sillonnaient son visage sans en détruire cependant la rondeur, la longue toison, neigeuse mais drue, plantée sur son crâne, ses yeux d’un bleu très clair voilés plutôt qu’éteints, sa bouche décolorée aux lèvres fermes, tout cela formait dans l’ensemble une tête d’une expression bizarre, indéfinissable. Ces traces de jeunesse figées sur un visage flétri évoquaient la pensée de quelque étrange bouleversement qui aurait fait passer cet homme, tout à coup, par une transition inouïe, de la virilité à l’extrême vieillesse.

L’inconnu s’était logé dès son arrivée au bout d’un faubourg, dans une maisonnette abandonnée, et bâtie naguère à la diable pour servir de bureau provisoire à un entrepreneur qui avait dû organiser un chantier près de là.

Un rez-de-chaussée comprenant deux pièces ; derrière, un jardinet grand comme la main. C’était tout. Il avait eu cela pour cent écus comptants. Quelques meubles vulgaires, emplétés au rabais chez un brocanteur, avaient été apportés sur une charrette et déposés à la porte de la bicoque. Il avait procédé lui-même à son installation — besogne assez sommaire — sans le secours de personne.