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— Ô douce Illusion à nos cœurs coutumière,
Fantôme fait d’amour, de gloire et de lumière !
De ta bouche, où voltige un sourire, souvent ;
De ta bouche adorable et fine, et que colore
Un sang fait d’ambroisie — et le Soleil levant ;
De ta bouche s’élance, ondoyant et sonore,
Le Logos saint, vêtu du Rythme grave et pur :
Telle jaillit Aphroditè de l’eau d’azur !
Et tes larges yeux noirs, [où couve le Mystère
Mi-voilé, que ta lèvre entr’ouverte doit taire,
Jusqu’au jour où, sublime entre tous, paraîtra
Celui par qui, sommé, le Verbe parlera, ]
Tes yeux noirs, langoureux, ou souriants, ou tristes,
Quand tu daignes parfois les baisser jusqu’à nous,
D’un tel enchantement baignent nos yeux d’artistes,
Que nous rampons, ensorcelés, à tes genoux !

L’homme, se débattant en son argile immonde,
Ne te devine pas, errante par le monde,
Ô Déesse ! et visible aux seuls initiés ;
Et le Public s’écrie : — « À bas cette Chimère ! »
Mais nous faisons, ô notre Sœur, et notre Mère,
Nos pleurs fervents et doux ruisseler sur tes pieds !

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Puisque l’homme vulgaire et dont la vue est brève,
Ô Fleur superbe, éclose à la tige du Rêve;
Splendeur conceptuelle, ô Reine du jardin
Idéal, n’a pour toi qu’ignorance ou dédain,
Je veux chanter ta gloire impérissable, Rose
Dont la sève est le sang du poète, et qu’arrose
Le flot perpétuel des pleurs délicieux
De l’artiste, et qu’un doux zéphyre harmonieux
Sur un rythme très lent fait se bercer sans trêve,
Ô Fleur superbe, éclose à la tige du Rêve !

Novembre 1883.

STANISLAS DE GUAITA.