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Et maintenant, qu’il est uni pour toujours à Camille, qu’il est assis au banquet de sa noce, près de sa femme adorée, au milieu de sa famille et de ses nombreux amis, dans le bruit des rires et des chansons, des chocs des verres que l’on vide et que l’on emplit, l’image plaintive l’obsède plus que jamais : il revoit ce pâle visage, il entend cette voix résignée, si douce et si caressante encore : « Je t’aime, mon Sylvain, je ne t’en veux pas, je désire que tu sois heureux. » Lui qui naguère se croyait l’intègre, le juste, le bon, comme il se trouve petit en comparant son froid égoïsme à l’héroïque abnégation de l’enfant. Comme il se reproche d’avoir fait le malheur de Geneviève, comme il voudrait pouvoir effacer le passé, recommencer les dernières années qui se sont écoulées ; comme il se garderait de suivre la route qu’il a suivie et de commettre les fautes qu’il a commises. Mais à quoi servent ses remords et ses désirs insensés ? Nul ne peut recommencer sa vie, le passé ne se change point, ce qui a été a été.

III

Il est d’usage dans le pays, depuis un temps immémorial, que dans toute noce bien ordonnée une bonne farce soit faite aux jeunes époux, lesquels n’ont, dans aucun cas, le droit de se fâcher. On répand dans le lit nuptial de la graine d’églantier sauvage, qui donne à la peau de furieuses démangeaisons, ou bien, faisant tout à coup irruption dans la chambre des mariés, on les force à manger une soupe au vin atrocement poivrée, ou bien encore une demi-douzaine de garçons se sont introduits dans cette chambre, ont attendu, cachés sous les cheminées, dans les armoires et jusque sous le lit, et font un vacarme épouvantable à un signal donné, etc., etc. Il n’y a pas de règles fixes à ce sujet, tout dépend des circonstances et de l’imagination plus ou moins féconde des meilleurs amis des mariés, qui sont, bien entendu, les auteurs de la farce et qui se chargent de sa mise à exécution. Il y a eu dans ce genre des tours qui sont demeurés célèbres, qui depuis cinquante ans font les délices de la veillée, où les vieux les racontent chaque hiver, et dont on se répète avec admiration le nom des auteurs.

Nos trois amis : Bertrand, le garçon d’honneur, le plus déluré des gars du village, le plus brûlot, comme on dit dans le pays ; Léontine, sa commère, une fine mouche, et Firmin, leur digne compagnon, nos trois amis, disons-nous, n’étaient pas gens à laisser perdre l’antique coutume, ils eussent plutôt été capables de l’inventer si elle n’avait pas existé ; ils se sont retirés à l’écart, pour délibérer.

— Premièrement, dit Léontine, qui a la langue bien pendue, de