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tons-nous à table sans faire semblant de rien ; dans une heure nous nous trouverons à la ferme du père Vincent. Léontine aura la poupée.

Et le trio se sépare.

Il est onze heures du soir. Léontine, portant quelque chose enveloppé dans un châle, se glisse furtivement le long des haies, elle arrive à la ferme du père Vincent, le tuteur de Camille. Bertrand et Firmin, qui l’attendaient cachés dans la remise, viennent la joindre. Il n’y a pas une âme dans la maison.

Ils gravissent tous trois l’escalier, Léontine ouvre une porte : c’est là. En entrant dans la chambre de Camille, qu’éclaire la lumière d’une lampe, les deux garçons se trouvent ébahis et retirent respectueusement leurs chapeaux. Il n’y a pourtant rien d’extraordinaire dans cette chambre : un lit en acajou avec des rideaux blancs, une armoire et une table aussi en acajou, une bibliothèque garnie de volumes, quelques tableaux accrochés au mur ; sur la cheminée une glace, une pendule et deux flambeaux. Tous ces objets sont de la plus grande simplicité, mais la jeune fille a présidé à leur arrangement avec son goût de Parisienne, et jamais pareille magnificence n’avait frappé les yeux des deux montagnards, jamais leur imagination n’avait rien rêvé de si beau.

Le premier moment d’émotion passé, Léontine découvrit ce qu’elle tenait enveloppé dans son châle et le plaça sur le lit. C’était un buste de cire, à peu près de grandeur naturelle, très soigneusement modelé. Nous ne raconterons point comment pareil objet était venu échouer au village de Suze ; il suffit de savoir qu’il provenait d’une de ces exhibitions ambulantes, qui s’intitulaient musées ou galeries historiques et qui, au commencement du dix-neuvième siècle, sillonnèrent en tous sens la province. Cette poupée, comme l’appelait Léontine, avait dû représenter une princesse ou une femme célèbre quelconque. Le visage, peut-être un peu trop blanc, était gracieux ; des cheveux noirs, naturels, tombaient sur le cou.

— Il faut l’habiller, dit Bertrand, et on lui passa une chemise tirée de l’armoire de Camille, on la coiffa d’un petit bonnet, on la coucha dans le lit, la tête reposée sur l’oreiller.

— Elle est bien ainsi, dit Léontine ; mais Sylvain ne s’y laissera point prendre ; avec ses cheveux noirs elle ne ressemble pas du tout à Camille, mais là, pas du tout.

— Elle ressemble, s’écrie Firmin, elle ressemble à Geneviève !…

— C’est vrai, disent ensemble la fille et le garçon d’honneur, la ressemblance est frappante.

— Ce n’est pas ce qu’il nous faudrait, reprend Firmin. Le marié,