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comprenant bien que Geneviève ne peut pas être couchée là, verra tout de suite que c’est une poupée et notre farce ne vaudra pas grand’chose.

— S’il pouvait croire que c’est Geneviève, observe la demoiselle d’honneur, le tour ne serait déjà pas si mauvais.

— Ne bougez plus, crie Bertrand, frappé par une idée lumineuse, j’ai ce qu’il faut, j’ai trouvé, j’ai trouvé. Il descend rapidement l’escalier et remonte bientôt, portant un pot rempli de cette ocre rouge délayée dans de l’eau, dont on se sert dans le pays pour marquer sur leur toison les moutons et les brebis. Il répand quelques gouttes du liquide sur le bonnet blanc de la poupée, il en macule la chemise, il découvre le lit, inonde les draps, et replace ensuite le tout dans l’état normal.

— Avez-vous compris, maintenant ? dit-il triomphant. Sylvain croira voir du sang ; avant d’avoir eu le temps de réfléchir, il se figurera que Geneviève s’est tuée et appellera au secours. Nous, qui serons à la porte, nous arriverons pour le détromper et pour rire de sa peur, nous appellerons toute la noce et tout le monde rira ; jamais pareille farce ne fut inventée, on en parlera dans cent ans.

Firmin hésite un moment, comme s’il ne se rendait pas bien compte de toute la beauté du tour, finalement il applaudit et embrasse son ami. Léontine n’ose pas embrasser Bertrand, mais elle frappe des mains et des pieds en signe d’approbation et se jure à elle-même que jamais un autre homme que lui ne sera son époux.

Et les trois amis, après avoir soufflé la lampe, allèrent se cacher dans la chambre à côté, dont ils laissèrent la porte entrebâillée, et attendirent silencieux.

IV

La fête arrive à son apogée. Un bal champêtre a été organisé sur l’aire, illuminée de lanternes et de lampions. Quatre musiciens venus de Crest jettent aux échos de la montagne les notes joyeuses de leurs instruments : violons, cornet à piston et clarinette.

Les jeunes époux ont ouvert le bal ; puis, chaque garçon de la noce tient à honneur de faire danser la mariée qui accepte de bonne grâce. Sylvain fait danser toutes les filles du pays, qui croient que cela leur portera bonheur. Parfois ses jambes chancellent, son front est pâle de plus en plus ; il a bu du vin, beaucoup de vin, puis, comme cette boisson lui paraissait froide, il a bu de l’eau-de-vie. Il est ivre maintenant.

Vers onze heures, la mariée s’est retirée suivie par la demoiselle d’honneur ; l’on n’a point remarqué son départ ; garçons et filles dan-