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Il regarda avec assurance autour de lui. Les tambours battirent un roulement. Un sergent-major lut la sentence. Le condamné se plaignit que ses lettres particulières avaient été prises dans son havre-sac. On ne lui répondit rien et un sous-officier, après lui avoir bandé les yeux, le fit mettre à genoux.

Les soldats algériens étaient immobiles, silencieux. C’était solennel.

Un peloton de douze sous-officiers français et indigènes en armes, se dissimulait sur le côté, à une douzaine de pas. Il fit un quart de conversion et se rangea face au condamné.

L’adjudant de service leva son sabre, les fusils s’abattirent et le peloton fit un feu de salve.

Quelques balles seulement atteignirent le malheureux dans la poitrine. Un flot de sang jaillit de sa veste.

Il tomba sur les mains, mais en restant à genou et la tête droite, sans pousser un cri, ni une plainte ; puis à voix haute, sur un ton grave et bien accentué, il dit ces seuls mots : « — Je ne suis pas mort ! »

Les hommes du peloton d’exécution se regardèrent interdits. Quelques-uns, les français, paraissaient atterrés.

À vrai dire ce soldat ne devait pas inspirer un grand intérêt. Il avait de mauvais antécédents. D’ailleurs n’avait-il pas commis une de ces fautes militaires que rien ne peut excuser, surtout devant l’ennemi ? Et puis, quand on a assisté à tous ces entassements de cadavres de la guerre allemande, on peut regarder d’un œil froid le châtiment d’un coupable. Cependant ces paroles inattendues, à ce moment suprême, ce dernier appel d’un homme mourant ainsi au milieu d’un appareil imposant, le calme avec lequel il recevait le coup fatal et demandait qu’il soit plus prompt et qu’on en finisse, tout cela me fit éprouver intérieurement une de ces douleurs nerveuses dont on est difficilement maître.

Il y eut chez tous les spectateurs un frémissement de même nature.

Un officier fit signe à un sergent indigène. Celui-ci s’approcha pour lui donner ce qu’on appelle le coup de grâce, et renversant son chassepot la crosse en l’air, il en dirigea le canon vers l’oreille du tirailleur et pressa la détente. Le soldat tomba la face contre terre. — « Je ne suis pas mort ! » dit-il encore avec un accent lugubre, et ses paroles semblaient sortir de la tombe.

Cette scène douloureuse se prolongea plus qu’on ne pouvait le prévoir. Le sous-officier indigène, un vieux, de la Crimée, quoique blasé sur toutes les émotions les plus terribles de la guerre, avait manqué son coup. Il rechargea son fusil, fit feu de nouveau et fracassa la mâchoire du patient. L’homme râlait et se débattait à terre dans les convulsions et les spasmes d’une affreuse agonie.

Troublé malgré lui l’Arabe avait encore mal ajusté. Il s’y reprit à quatre fois.