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étrange, qu’il dût le remplacer demain ; comme si le destin eût doublé mon glorieux père par un égal afin que cet autre, quand mon père tomba, prit sa place ; comme si le général Margueritte, hors de combat, ne présiderait pas moins à la bataille, puisqu’un autre, tout semblable à lui, le général de Galliffet, se dressera sur ses étriers et commandera la charge. Sommeil lourd ou agité, ils dormirent, côte à côte, cette nuit.

Blessé mortellement, le général Margueritte est transporté en Belgique, au château d’Ossuna, où il meurt :

Étrange destinée, n’est-ce pas, celle de ce soldat ? Naître dans une chaumière, humble parmi les humbles, et aller mourir chez les plus grands de la terre, chez un duc, grand d’Espagne, et une duchesse, princesse. Quelle ironie ou quel destin, glorieux en somme et bon, donnait à notre père une agonie douce et seigneuriale ? Consolation pour nous, puisque, frappé magnifiquement sur un beau champ de bataille, il en évita la mort terreuse et souillée, et put, comme dans sa maison, s’étendre sur un large lit et mourir dans des draps de femme. Une invincible, une pieuse reconnaissance me poigne si je songe à cette patricienne au grand cœur qu’une pitié suprême déguisa en sœur de charité, madame la duchesse d’Ossuna.

Et M. Paul Margueritte termine ainsi :

Maintenant, mon père, j’ai fini ce livre consacré à votre mémoire.

Et je vous le jure, il me paraît bien humble, bien mince et bien insuffisant. Je n’ai jamais donné qu’une faible idée de vous : j’ai voulu ébaucher, moi aussi, un semblant de statue, et voici qu’elle est gauche et mal venue. C’est, mon père, que j’ai, aux parois rouges de mon cabinet de travail, votre sabre de bataille et de mort, l’arme de Sédan. Une balle l’a faussé. De temps en temps, seule, ma femme, bien doucement, de ses doigts frêle l’essuie. La grande lame, plantée droit, lui monte bien au-dessus de la taille. Si mon livre est humble et incomplet, c’est que votre sabre est bien grand, mon père, et ma plume d’écolier toute petite.

Ces extraits sont courts, mais ils suffisent à donner envie de lire le livre entier. C’est le conseil que nous donnons à nos lecteurs.

Ils nous remercieront.

Parmi les dernières publications de la maison Hachette, nous relevons, dans la collection à 3 fr. 50, un livre dont l’éloge n’est pas à faire, puisqu’il est signé : Edmond About. Titre, de Pontoise à Stamboul. C’est le récit imagé, spirituel, vertigineux d’un voyage en treize jours, le temps d’aller à Constantinople et d’en revenir. — Et notez, dit l’auteur :

« Et notez que nous avons fait une halte de vingt-quatre heures dans cette France orientale qui s’appelle la Roumanie, assisté à l’inauguration d’un palais d’été dans les Carpathes, pris le thé avec un roi et une reine et banqueté somptueusement, chez le Bignon de Bucarest. On dit avec raison que