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Et ils étaient restés tous deux dans l’ombre. Métalli, enchanté de cette circonstance, n’osa pas en profiter ; mais la tentation fut si forte !… Il étendit ses bras dans la direction de Perlette, l’enlaça, la pressa sur son cœur et lui donna un gros baiser sur la joue.

Elle le lui rendit sur le champ, et sonnant, de même qu’elle lui avait rendu tous ceux qu’il lui avait envoyés par volées au travers des mûriers.

Puis, vivement, ils reprirent chacun sa place car la lumière s’approchait et il n’eût pas fallu que la mère Jeanne se doutât de quelque chose, autrement adieu les amours ! Si elle n’avait pas renvoyé Perlette du coup, tout au moins ne l’eût-elle pas prise l’an suivant pour les magnons.

Ils en étaient donc là de leurs naissantes amours lorsque le sixième jour finit.

Le lendemain était celui où Perlette devait reprendre le chemin de ses montagnes, et Métalli, qui, autant pour lui plaire que dans une vague espérance, dans un laisser aller vers l’imprévu, lui avait promis de l’accompagner jusqu’à Curson, partit un peu avant elle et alla l’attendre au pied de la colline et près de la vieille croix qui se trouve à l’entrée de la brèche par où l’on descend dans Châteauneuf.

Tranchée dans les grès roses, mordorés, cette brèche a quelque chose des terrains chauds que l’on voit dans les paysages italiens. En haut, frangeant le ciel bleu, se dressent, se penchent des pins parasols.

Là fleurit le genêt d’or, là s’embaument de genièvre les tourdes grivelés, là s’aiment les lapins sauvages : aussi la colline est-elle toute pertuisée de terriers incessamment furetés par les braconniers d’alentour.

La vue des terriers rappela à Métalli qu’il était retenu ce jour même pour une partie de la chasse… mais à vingt ans, l’amour passe avant tout !

Bientôt il vit arriver là-bas, sa chère Perlette.

Alors, sortant d’un buisson derrière lequel il s’était assis pour l’attendre, il alla à sa rencontre.

Elle s’était endimanchée de sa robe d’indienne neuve, à feuille de trèfles, et avait mis une sorte de coquetterie à s’attifer ce jour là ; elle avait piqué dans ses cheveux des églantines en fruits couleur de feu, de façon qu’elle était encore plus jolie, comme si elle eût souhaité que le regret de vivre séparé d’elle fût plus vif au cœur de son Métalli.

Lui aussi était beau : il avait endossé sa courte jaquette bleue ; un chapeau de feutre fauve, au galant retroussis, avait remplacé, sur sa blonde toison, le large parasol en paille de blé, à bord retombant.

(À Suivre).                                             Louis GAY.