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VI

Il fallut bien s’exécuter. On alla s’installer sur un banc de la promenade de la localité, qui, comme toutes les promenades de petite ville habituellement désertes les jours sur semaine, ne possédait en ce moment sous ses arbres que deux chiens en quête d’aventures et un vieux capitaine retraité qui fumait son cigare en réchauffant ses rhumatismes au soleil du printemps.

Lambert lut rageusement sa lettre ; et, faisant remarquer à ses collègues le dilemme dans lequel il s’était trouvé enfermé, il leur demanda si, en conscience, il pouvait se dispenser de se présenter chez Madame Dupont.

Quelques-uns d’entre eux commençaient déjà à être de son avis, lorsqu’Aubin — qui jusque-là avait laissé parler et discuter sans mot dire — prit la parole :

— C’est égal, dit-il ; il est vraiment original que Lambert se soit lui-même envoyé courir le poisson d’avril — sans s’en douter et sans s’en apercevoir — maintenant encore que la course est faite.

— Comment ! lui-même ?… interrogèrent les professeurs.

— Comment ! moi-même !!… s’écria Lambert furieux et ahuri.

— Eh ! oui, vous-même : car Beltram (anagramme de votre nom), n’est autre que vous-même, mon cher Lambert. Il demeure donc acquis au débat que vous vous êtes soigneusement ganté pour faire une commission que vous-même vous vous étiez donnée.

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À cette explication inattendue qui mit tous les rieurs du côté d’Aubin, Lambert fut forcé de reconnaître, de mauvaise grâce il est vrai, qu’il aurait dû examiner avec un plus grand soin la personnalité de son collègue de ***, et il fut décidé qu’il offrirait le soir même, à la fin du dîner, le champagne promis.

— Avouez cependant, lui dit Aubin en manière de consolation, qu’il n’a pas dû vous être bien désagréable de contempler de près les beaux yeux de Mlle Dupont.

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VII

L’aventure que nous venons de raconter eut pour Lambert deux conséquences fort différentes.

D’abord, malgré tous ses efforts pour l’éviter, et peut-être même à cause d’eux, le sobriquet de Beltram lui demeura acquis à son grand chagrin. Chaque fois que son naturel le poussait à blaguer quelqu’un de