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ses collègues, celui-ci n’avait qu’à l’appeler Beltram pour arrêter la plaisanterie sur ses lèvres.

Puis, cette première visite à Mme Dupont fut suivie de plusieurs autres ; tant et si bien que le bruit d’un prochain mariage entre Lambert et Mlle Dupont circula bientôt dans la ville.

Ces dames n’étaient point originaires du pays. Elles n’y étaient arrivées que depuis peu. On ne connaissait ni leur famille, ni leur fortune exacte. Elles remplissaient ostensiblement tous leurs devoirs religieux : Mme Dupont se disait veuve, leurs toilettes semblaient indiquer la possession d’une certaine aisance. Voilà tout ce qu’on savait d’elles et de leur passé, et tout ce qu’en sut Lambert jusqu’au jour de la signature du contrat.

Il ne fut plus possible alors de lui cacher que Mme Dupont avait été en son temps une des personnalités tapageuses du demi-monde parisien, et que Mlle Dupont était un des accidents de son existence passée. Lambert quelqu’engagé qu’il fût, hésita bien à se marier dans ces conditions : mais son hésitation fut de courte durée, car la beauté de sa fiancée, dont il était passionnément épris, lui tournait tellement la tête, qu’il garda pour lui seul la confidence maternelle et épousa la fille

Et il était sincère en disant à Aubin qui, à l’issue de la cérémonie nuptiale, lui serrait la main dans la sacristie :

— Vous ne vous doutiez pas, mon cher collègue, que votre poisson me ferait trouver une femme que j’adore. C’est à vous cependant que je dois mon bonheur, et je suis parfaitement heureux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

VIII

Heureux… Lambert le fut certainement au début ; et son bonheur dura sans nuages, croyons-nous, pendant les premiers mois de la lune de miel.

Mais, hélas ! Mme Lambert était affligée d’une nervosité, — héritage probable de la vie aventureuse de sa mère, — qui occasionna bien vite des discussions dans le ménage. Et, chaque année, — le caractère difficile de son acariâtre moitié s’accentuant davantage, — la situation du malheureux professeur ressembla de plus en plus à celle de Socrate vis-à-vis de Xantippe, de classique mémoire.

Et bien souvent sans doute, au milieu de son enfer conjugal, Lambert se reporta par la pensée à la cause première de son mariage, car il prit l’habitude de dire à tout propos :

— Méfiez-vous des poissons d’avril.

Fr. DESPLANTES.