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À SARAH BERNHARDT

Comme au vague vitrail qu’ensanglante au couchant,
Une vierge, sur fond d’or rouge et d’améthyste,
— Entre les décors pleins de lumière et de chant,
Vous passez ainsi qu’une apparition triste !

Le contour serpentin de vos bras onduleux
Fait songer le poète à la délicatesse
Des attraits anciens, qu’en un temps fabuleux,
Eut une légendaire et perfide princesse…

Mais de votre corps monte avec intensité,
Comme des philtres noirs d’une magicienne,
Dans un grand vent de fièvre et de modernité,
Le charme dangereux de la Parisienne !

En vos robes couleur de lune et de matins,
Ou, dans la soie et l’or de roses fanfreluches,
Vivent le caresseur frifrilis des satins
Et le miroitement singulier des peluches.

Vous êtes tour à tour les reines du passé,
Et celles, dont le cœur mordu de rêveries
Par le tragique effroi du réel fut blessé,
Et qu’une passion douloureuse a meurtries !

Comme dans le concert rythmique des forêts,
Les chants extasiés de l’amour symbolique,
Traversés de sanglots et de sourires frais,
Passent dans votre voix claire et mélancolique.

Et vous avez le double orgueil d’avoir fondu,
— Ô grande évocatrice amicale au poète —
Le passé prismatique et le présent ardu,
Dans l’immense frisson de la vie inquiète.

Victor MARGUERITTE.