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Que dire des Pantoums malais ? Comme M. Leconte de Lisle cisèle admirablement le pantoum ! Cette forme, exquise et rare, déroulement chanteur de deux idées complices qui, dans un enlacement de valse, tournent et ici par cinq fois repartent, comme deux femmes amoureuses l’une de l’autre, jusqu’à l’accord final, et douloureux. Rien de beau comme cet unique et quintuple pantoum, drame musical où charme, malaise, angoisse, navrement final palpitent, graduellement sonores, et s’éteignent.

Comment s’arrêter au livre ? Comment, dans ces quelques lignes, en donner une idée ?

Pourquoi la place nous est-elle comptée ?

Je ne sais rien de plus beau qu’un livre de M. Lecomte de Lisle tombant, en sa blancheur neuve et sa lourdeur d’arme, sur nos piètres générations. Ah ! nos impuissances, nos petitesses, nos dégoûts, nos névroses, il faut les voir balayées dans son souffle géant et ironique.

M. Paul Verlaine a publié dans le journal Lutèce une suite de notes très curieuses sur les poètes Corbière, Rimbaud, Mallarmé. Ces études, rassemblées en un coquet volume, ont paru, chez Vanier. Titre : les Poètes maudits. Nous avons relu avec plaisir les vers de Tristan Corbière, d’Arthur Rimbaud, poètes défunts, véritablement excentriques et savoureux.

Mais M. Stéphane Mallarmé ne nous semble pas ici à la place. Incomparablement supérieur aux précédents, le poète ne se dresse-t-il pas entre les grands Parnassiens, dont il est un des plus purs et des plus exquis ? Les inspirations de la première heure, parues dans le premier Parnasse, n’ont point d’égales. Puis, pourquoi l’appeler maudit ?

M. Stéphane Mallarmé est, entre tous, le poète « volontaire et voulu. » Il a fait sa destinée.

Elle n’est nullement maudite, sera glorieuse demain, et l’œuvre qu’il élabore, grande.

N’importe, curieux livre que ces Poètes maudits. Les portraits sont bizarres. Puis, c’est signé d’un poète. Et grand poète, cet auteur des Poèmes saturniens, de Sagesse, des Fêtes galantes, ce Paul Verlaine qui est par excellence le poète maudit.

Citons encore de M. Auguste Erhard, la Princesse Casse-cou, des nouvelles en prose, éditées à la Librairie théâtrale. Tous nos compliments à l’auteur, ses nouvelles ne manquent pas d’invention ; le style est élégant, la couleur sobre, l’observation fine. Livre agréable, honoré d’une préface de M. Jules Claretie et enjolivé par un amour de dessin de Gray : une femme nue, accroupie sur un crâne d’homme qu’elle dévalise, symbole cruel, délicatement traduit par le crayon alerte de M. Gray.

Signalons enfin une série d’études fines et cruelles, Nos Farceurs, que M. Camille de Sainte-Croix publie dans un nouveau journal illustré, le Croquis, avant de les réunir en volume. Mais nous en reparlerons.

P. Violas.