Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais ! » et que le père répond en poussant l’enfant dans les bras du malheureux : « Il te reste ta fille ! » Chelles, avec son talent sombre, a rendu parfaitement le rôle du mari ; il a eu des accents d’une énergie sauvage, mais quel physique désagréable ! Il a su cependant se rendre sympathique et à lui revient l’honneur d’avoir sauvé la pièce. M. Cosset a joué le rôle du commandant d’Armelles en acteur de mélodrame. Tous nos compliments à madame Tessandier et à M. Albert Lambert, qui ont travaillé leurs rôles épisodiques avec autant de conscience que s’il se fût agi pour eux d’une importante création.

J’arrive maintenant aux Maucroix, de M. Albert Delpit, et je déclare en commençant que je n’ai pas reconnu l’auteur du Fils de Coralie et du Père de Martial. À mon avis, cette pièce n’existe pas. Elle est basée sur de telles invraisemblances, elle se poursuit à travers des péripéties tellement étranges, elle se termine par un dénouement si extraordinaire ou plutôt par si peu de dénouement, qu’elle a besoin d’être jouée par Reichemberg, Worms et Le Bargy pour être supportable. Je ne comprends le théâtre qu’autant qu’il représente la vie telle qu’elle est ou telle qu’elle pourrait être. Je déteste le développement sur la scène de sentiments faux et d’actions invraisemblables à l’égal des féeries et des machines à grands spectacles.

Il est donc regrettable que M. Delpit ait rnis son talent, qui est réel, au service d’une si mauvaise cause, car, au point de vue de la facture, sa pièce est traitée supérieurement. Il fait parlera ses héros une langue savante ; et si sa comédie pèche par le fond, elle abonde en mots fins et en scènes touchantes. M. Delpit a tout ce qu’il lui faut pour devenir un maître du théâtre, mais il faut pour cela qu’il sache choisir ses sujets. Il a voulu développer un thème insoutenable, avec ses Maucroix ; il est sorti de cette épreuve comme peu d’écrivains en seraient sortis, et on pourrait justement lui appliquer le Gloria victis des anciens. Les interprètes ont tiré ce qu’ils ont pu de cette comédie et ont défendu la cause de l’auteur avec une vaillance dont il faut leur tenir compte. Mademoiselle Reichemberg et Worms ont particulièrement fait plaisir.

L’espace me manque, et cependant, il me reste encore à parler de deux pièces, qui s’annoncent comme des succès ; les Affolés, quatre actes de MM. Ed. Gondinet et Pierre Véron, au Vaudeville, et Ma Camarade, cinq actes de MM. Meilhac et Ph. Gille, au Palais-Royal. Je me bornerai donc à constater que, dans les Affolés, Berton, Dupuis, Francès, mesdemoiselles Legault, Vrignault et Depoix, se sont montrés dignes de leur réputation, et, qu’au Palais-Royal, Réjane est bien la meilleure camarade qu’on puisse imaginer.

Cette dernière est, du reste, secondée brillamment par l’élite de la troupe, à commencer par Daubray, dans le rôle de Cotentin, pour finir par Hyacinthe, dans le rôle du portier, en passant par Raimond et