mines de vieille chatte gourmande pour qui les assiétées de crème remplacent sans trop de regrets les courses folles, le soir le long des toits, au clair de lune. Or, d’intrigue, à vrai dire, il n’en existait pas ; mais cette sortie, le soir, un étranger, un peintre, avec un peu d’imagination on pouvait en faire quelque chose.
Et l’imagination de Misé Rose, nous le savons, était aussi ardente que sa curiosité était vive.
Et puis quel succès elle aurait là-bas : que de bonnes et longues causeries en réserve ! Et qui sait ? L’amour, cela se mêle si souvent là où on l’attend le moins.
Dans la rue, Georges, galamment, offrit son bras à Misé Rose qui rougit de plaisir et d’orgueil sous sa capuche noire. Puis tous deux, ils se mirent en route.
Ils descendirent du côté du Rhône, longèrent les quais déserts à cette heure ; puis, toujours guidé par Misé Rose, qui, le long de la route n’avait cessé de parler à Georges de la belle fille qu’elle allait lui faire voir, ils s’engagèrent dans une ruelle sombre et étroite, pavée avec de gros cailloux pointus, bordée de petites maisons à un étage, avec de larges portes basses, au-dessus desquelles brillaient ça et là, à travers les rideaux rouges et bleus des impostes, la pâle lumière d’une lampe ou d’une bougie.
Au bout de la rue, devant une porte un peu plus haute que les autres et de meilleure apparence Misé Rose s’arrêta.
— Nous sommes arrivés, dit-elle, et, quittant le bras de Georges elle souleva le lourd marteau de fer, avec elle frappa trois coups, trois petits coups secs discrets.
La porte s’ouvrit aussitôt.
Autour de la table tous les habitués étaient là, mais, contre toute habitude, les cartons verts du loto reposaient en tas au milieu de la table. On ne jouait pas.
La petite veuve, les yeux brillants, la chainette d’or à croix de corail autour du cou, ayant ce soir là remplacé la coiffe blanche par un beau ruban de velours noir, causait avec la patronne, qui, les mains dans les poches, ne cessait de tourner la tête du côté de la porte d’entrée.
De l’autre côté, le père Labourde expliquait à Virette qui lui versait du café dans une large tasse à fleurs rouges et bleues comment l’écume qui perle au-dessus indiquait avec une certitude absolue et le vent qu’il faisait et le temps qu’il ferait demain.
- (La suite au prochain numéro).
