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LES ARTS INCOHÉRENTS

(Exposition du 15 Octobre au 15 Novembre 1883)

M. Jules Lévy vient de réunir, galerie Vivienne, tout ce que les calembours les plus audacieux et les méthodes d’exécution les plus imprévues peuvent faire enfanter d’œuvres follement hybrides à la peinture et à la sculpture ahuries.

Malheureusement, à côté d’élucubrations épileptiques et exhilarantes, il en est d’autres dont la drôlerie fait long feu. Quant aux facéties dont est criblé le catalogue de l’exposition, — trop souvent empruntées aux recueils de bons mots que vendent les pitres forains, — elles échouent dans le rabâchage.

L’artiste qui, le premier, a fait un tableau moitié par application de couleurs sur la toile et moitié en relief (le célèbre Facteur rural est le modèle du genre), a eu une idée incontestablement drolatique. Mais depuis, la plupart des « incohérents » n’ont fait qu’exécuter des variations sur ce thème, au lieu de chercher des idées nouvelles. Même chez ces messieurs, le cliché ne perd pas ses droits !

Citons quelques œuvres marquées au timbre d’une réelle originalité.

Raoul Colonna de Césari, le critique du Petit Caporal, expose la Nouvelle Légion d’honneur, inspirée par une boutade charentonnesque de Hugo, les Armes des seigneurs de Marlouville, un Drapeau national incohérent — rouge, surmonté d’une aigle, ailes déployées, et semé de fleurs de lis d’or, — et un Lapin. Sur une toile de fond, un boudiné et une dame du plus pur ah causent en buvant des bocks ; — de la bouche du monsieur part un cordon qui s’attache au cou d’un lapin vivant, qui grignote des carottes dans une cage installée devant le tableau. Cette manière allégorique de poser un lapin obtient un vif succès de gaieté.

Sous ce titre suave : Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige, M. Alphonse Allais a collé au mur une feuille de bristol absolument blanche.

Deux Lédas : l’une, de notre confrère Guillaume Livet, — vêtue à la dernière mode, — chevauche une grue qui la transperce d’un bec impudique ; l’autre, d’Antonio Banès, est étendue, nue dans l’herbe, la croupe piquée d’un signe en relief, énorme grain de laideur sur lequel s’insèrent des soies de laie.

Mademoiselle Valtesse de la Bigne expose : Lézards cohérents. Ces deux sauriens sont dans une position que ma plume ne saurait décrire sans se teindre d’un chaste vermillon.