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Longtemps après la conclusion de ce dernier traité, on s’est dit, en élargissant l’horizon des diplomates d’alors, que la liberté des mers, ouvertes à tous les pavillons, devait entraîner logiquement celle de toute navigation fluviale contiguë, puisque les fleuves ne font qu’un avec la mer[1]. On en a conclu que monopoliser un fleuve, en accaparer l’usage, serait le détourner de sa destination normale[2] . Aussi Bluntschli a-t-il formulé cette maxime en disant : « Les fleuves et les rivières navigables, qui sont en communication avec une mer libre, sont ouverts en tout temps aux navires de toutes les nations. Le droit de libre navigation ne peut être aboli, ni restreint, au détriment de certaines nations.[3]».

Pourtant cette doctrine, à laquelle souscrivent tous les jurisconsultes et que l’opinion publique ratifie, n’est point encore admise sans conteste dans la pratique.[4] Cela vient de ce que, lorsqu’on a cherché à l’appliquer aux principaux fleuves de l’Europe et de l’Amérique, on s’est heurté à des résistances provenant d’anciens droits acquis, de coutumes invétérées ou d’intérêts soit politiques, soit fiscaux, et de ce que certaines obscurités du texte de 1815 ont permis à plus d’un État d’éluder les obligations qu’il semblait lui imposer. Il en est résulté que ce n’est que graduellement que l’on s’est rapproché de l’idéal, sans l’atteindre jamais complètement, au travers d’un dédale de compromis et d’arrangements successifs.

On conçoit donc fort bien que, dès que l’utilité du Congo comme voie de communication a été reconnue, on ait songé à lui appliquer les règles promulguées en 1815, puis développées par la science et par le progrès des idées libérales.

Les hommes les plus compétents admettent que ce cours d’eau a une importance de premier ordre. D’après le voyageur Schweinfurth, par exemple, « il est indiscutable que le Congo sera, dans un avenir prochain, le seul chemin praticable à suivre » pour pénétrer au cœur du continent[5]. De Brazza pense de même[6]. Stanley estime que, « celui qui possédera le Congo aura le monopole du commerce avec le bassin

  1. Bluntschli : Droit international codifié, ad. § 314.
  2. Engelhardt, p. 92. ( Cf. Carathéodory : Du droit international concernant les grands cours d’eau, p. 26).
  3. § 314.
  4. Engelhardt, p. 53 et 200.
  5. L’Exploration, 1883, 2me sem., p. 107.
  6. Compte rendu des séances de la Société de géographie de Paris, 1882, p. 299.