Page:La révolution de 1848- Première année 1904-1905.djvu/191

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Ce n’est pas seulement en France que se sont fait sentir les effets de la Révolution de 1848. Un frémissement électrique remuait jusque dans ses fondements l’Europe entière. Ibsen m’a raconté qu’en 1848, élève-commis dans une pharmacie à Grimstad, tout en préparant des pilules et des sirops, il discutait chaleureusement avec les clients si la nouvelle révolution française deviendrait la Révolution universelle. Lorsque la nation hongroise — 1848 — entama l’œuvre de sa renaissance, lorsque le poète de son indépendance, Petœfi, s’écria : « Debout, peuple hongrois ! » le même Ibsen adressa aux Hongrois un poème où il excite les révoltés à l’action, à la lutte pour la liberté, « comme les Français. »

Nulle part la répercussion de 1848 ne fut aussi grande qu’en Russie. Incapables de faire chez eux la moindre petite révolution, les Russes sont avides d’échos de barricades et de bouleversements politiques… lorsqu’ils leur arrivent du dehors. Tourguéniev, ne sachant pas à quoi faire aboutir le héros de son célèbre roman Dimitri Roudine, l’envoie se faire tuer sur une barricade… à Paris. Notez que Roudine est Russe par éducation, par tempérament, par la tournure de son esprit, par l’abondance de sa parole et par son incapacité absolue d’agir… en Russie. Il va donc se faire tuer à Paris. Et le lecteur russe trouve cela logique et naturel.

C’est que les représentants des années soixante [1] sont, à coup sûr, des admirateurs de la grande Révolution, mais aussi des enfants intellectuels de la Révolution de 1848. Voici ce qu’écrit dans ses Mémoires le publiciste Saltykov, célèbre sous le pseudonyme de Tchedrine, — Paul-Louis Courrier russe, — presque inconnu en Europe : « Mes souvenirs de la France datent de 1840. Les noms de France et de Paris contenaient, non seulement pour

  1. Terme consacré en Russie : 1860. — Dimitri Roudine date de 1856.