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Page:Labé - Œuvres, t. 1-2, éd. Boy, 1887.djvu/80

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DÉBAT


dipee ? en liſant un liure comme la Dame Franciſque de Rimini ? en voyant, en paſſant, ſe rende ſi tot ſerue & eſclaue, & conçoiue eſperance de quelque grand bien sans ſauoir s’il en y ha ? Dire que c’eſt la force de l’œil de la choſe aymee, & que de là ſort une ſutile euaporacion, ou ſang, que nos yeus reçoiuent, & entre iuſques au cœur : ou, comme pour loger un nouuel hoſte, faut pour lui trouuer ſa place, mettre tout en deſordre. Je ſay que chacun le dit : mais ſ’il eſt vray, j’en doute. Car pluſieurs ont aymé ſans auoir ù cette ocaſion, comme le ieune Gnidien, qui ayma l’euure fait par Praxitelle. Quelle influxion pouuoit il receuoir d’un œil marbrin ? Quelle ſympathie y auoit il de ſon naturel chaud & ardent par trop, auec une froide & morte pierre ? Qu’eſt ce donq qui l’enflammoit ? Folie, qui eſtoit logee en ſon eſprit. Tel feu eſtoit celui de Narciſſe. Son œil ne receuoit pas le pur ſang & ſutil de ſon cœur meſme : mais la fole imaginacion du beau pourtrait, qu’il voyoit en la fonteine, le tourmentoit. Exprimez tant que voudrez la force d’un œil : faites le tirer mile traits par iour : n’oubliez qu’une ligne qui paſſe par le milieu, iointe auec le ſourcil, eſt un vray arc : que ce petit humide, que l’on voit luire au milieu, eſt le trait preſt à partir : ſi eſt ce que toutes ces fleſches n’iront en autres cœurs, que ceus que Folie aura preparez. Que tant de grans perſonnages, qui ont eſté & ſont de preſent, ne ſ’eſtiment eſtre injuriez, ſi pour auoir aymé ie les nomme fols. Qu’ils ſe prennent à leurs Filozofes, qui ont eſtimé Folie eſtre priuacion de ſa-