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fin de roman

pensées. Un oncle qui avait été son parrain, mort célibataire, lui avait légué des biens considérables, mais il savait qu’il ne pourrait jamais en profiter. Cette idée lui était très amère et il maudissait le sort qui lui avait refusé la santé. La petite bonne lui montait ses repas dans sa chambre. Lorsqu’il n’était pas au lit, il restait étendu en robe de chambre sur un canapé. Jamais il ne s’habillait, étant trop indolent, trop faible pour faire quoi que ce soit, si ce n’est que chaque soir, d’une main cadavéreuse, aux longs doigts décharnés, il rayait avec un crayon sur le calendrier la date du jour qui disparaissait, qui était un jour de moins qu’il aurait à vivre…

Le médecin passait à chaque quinzaine, prescrivait parfois un nouveau tonique, mais malade et médecin savaient que tout était inutile.

Lorsqu’on la voyait pour la première fois, Mme Pelle causait une curieuse et pénible impression. C’était une grande femme maigre et sèche avec une figure d’une effrayante pâleur, une pâleur de mort, aurait-on dit. Et elle avait sur la joue gauche une croissance violâtre de la grosseur d’un pamplemousse. Avec cela, ridée, ridée comme une vieille de soixante-quinze ans. Toujours des bobos au bras, toujours abattue, découragée. Elle souffrait de maux de tête presque continuels, ne paraissait avoir de goût à rien et ne mangeait presque pas, disant qu’elle n’avait pas faim. On aurait dit que la vie lui était un fardeau. Avec un grand fils souffrant d’une maladie incurable, il n’était pas surprenant qu’elle fût si triste. Mais ce qui frappait davantage chez elle, c’était sa peau, une peau comme Luce n’en avait jamais vu auparavant. « C’est une peau de crapaud qu’elle a cette femme là ! » s’était-elle dit en l’apercevant.