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fin de roman

À la fin du premier mois, la mère Botiron vint, comme elle l’avait dit, pour réclamer les gages de sa fille.

— Luce a grandement besoin d’une paire de souliers, lui déclara Mme Pelle. Les semelles de ses chaussures sont toutes usées, percées, et je n’ose l’envoyer faire aucune course parce qu’elle aurait froid aux pieds et pourrait prendre un rhume.

— Ce sera pour le prochain mois, répondit la mère, car j’ai absolument besoin de cet argent dans le moment.

— C’est très malheureux, répliqua Mme Pelle, car cette enfant est pratiquement nu-pieds.

— Je regrette, mais c’est impossible aujourd’hui.

Et la mère Botiron s’en alla avec le salaire de sa fille.

Toujours avide d’argent, elle reparut le mois suivant. Elle apprit à Luce que Rosette, la petite dernière, était morte la semaine précédente à l’âge de treize mois.

— Elle est ben chanceuse celle-là, déclara la mère. Elle n’aura pas de misère comme nous autres.

Élevée à boire du kik au lieu de lait, il n’était pas étonnant que la petite fût morte.

Un avant-midi que le médecin était venu voir le jeune homme, Luce s’était enhardie à lui demander si Mme Pelle était malade. « Elle ne mange presque pas et elle est si maigre », avait-elle expliqué.

— C’est pas étonnant qu’elle soit comme ça avec ce qu’elle absorbe de morphine, avait-il répondu. Toi, ma fille, avait-il ajouté d’un ton sévère mais empreint de pitié, ne prends jamais de ça. C’est une bien mauvaise habitude à contracter. Ça te fait plus de tort que la boisson.

Tout de suite, Luce avait pensé au médecin de Fascettes, le petit village d’où elle était partie, au Dr Boussel qui, disaient les gens, se bourrait de morphine.