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fin de roman

couchement et s’occuperait de placer l’enfant. Forcément, elle accepta cet arrangement.

— Revenez me voir dans une semaine, lui dit-il, comme elle sortait.

Ce fut une attente pénible. Elle vivait dans un cauchemar et passait en revue les événements de sa triste vie. Alors que tant de jeunes femmes sont heureuses et fières de mettre au monde des enfants qui seront leur joie dans les jours à venir, elle, irait à l’hôpital en se cachant pour que personne ne connaisse sa honte, et le fruit de sa chair, elle serait obligée de l’abandonner. Toujours, elle ignorerait sa vie précaire et incertaine.

— Il était grandement temps, déclara le médecin lorsqu’elle retourna chez lui au bout d’une semaine.

Le soir même, elle accoucha d’une fille.

Le lendemain, elle demanda à voir son enfant. La garde-malade sortit un moment et revint portant dans ses bras un paquet enveloppé de linge blanc, un paquet à la figure rouge, ridée, grimaçante, aux yeux à demi fermés, qui vagissait faiblement. Luce regarda un instant le petit être sorti d’elle-même, puis détourna la tête, sentant son cœur se briser de désespoir. La garde sortit. À ce moment, elle aurait voulu être morte.

La jeune mère ne revit plus son enfant.

Ses sept jours écoulés à l’hôpital du médecin, elle dut partir. Faible, le cœur endolori, sans courage, meurtrie dans tout son être, elle retourna à sa chambre.

Luce n’a plus de jeunesse, de beauté, ni d’illusions. Sa famille est dispersée. Ses frères et ses sœurs auront, elle le sait, une vie misérable. Jamais, on ne l’a aimée. Un homme a pris son plaisir sur son corps, mais il n’avait pas d’amour pour elle. Il ne cherchait que sa satisfaction. Au-