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fin de roman

plement, elle avait été dupée et trompée par un ignoble filou qui avait abusé de son ignorance, de sa crédulité, pour lui faire accroire les histoires les plus ridicules, les plus invraisemblables, les plus dénuées de bon sens et, pendant plus d’un an, il l’avait complètement dépouillée de son salaire après lui avoir arraché toutes ses économies. Il l’avait mise sans le sou. Il était l’un de ces individus sans scrupules qui, avec un cynisme révoltant, exploitent la naïveté des jeunes ouvrières et des femmes sans défiance, pour vivre dans la fainéantise. Et chose infiniment triste, il était le père de l’enfant qu’elle portait en elle.

Après avoir vécu dans le rêve, elle retombait dans un monde de laideur, de saleté et de répugnante hypocrisie.

Elle était si abattue, si découragée, qu’elle aurait voulu mourir.

Alors, sans plus aucun espoir, comme le prisonnier condamné au bagne pour la vie, elle se remit à la besogne afin de gagner son pain.

Les semaines passaient et l’enfant qu’elle portait en elle s’agitait déjà, signalait sa présence. Parfois, irritée, voulant à tout prix s’en débarrasser, au moment de prendre le tramway, pour retourner chez elle après le travail, elle se précipitait, elle plongeait dans la cohue des voyageurs, se faisait presser, tasser, serrer, bousculer, espérant que ces violences écraseraient cet enfant de malheur, amèneraient son expulsion prématurée. Mais la graine de misère est résistante, ne se laisse pas facilement détruire, elle arrive à la vie en dépit de tout.

Lorsqu’elle connut que le temps de sa délivrance approchait, elle alla voir un médecin dont elle avait vu les annonces dans le journal. Pour $75 payées d’avance, il la garderait sept jours dans une chambre, pratiquerait l’ac-