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fin de roman

— Puis, si vous ne nous aviez pas eus, qu’est-ce que vous auriez fait ? riposte la nièce.

— J’aurais gagné ma vie.

— Avec nous autres, vous n’avez pas eu besoin de la gagner.

— Tiens, je n’aime pas à le dire, mais ta mère c’était une ivrognesse. Elle avait toujours son flacon de gin dans l’armoire. Pis, ton père, avant d’aller tirer ses vaches, il allait au puits et pompait de l’eau dans le fond de sa chaudière. Oui, ton père mettait de l’eau dans le lait qu’il vendait aux gens de la ville.

— Vous êtes une mauvaise langue et une menteuse. Il y avait un flacon de gin dans l’armoire mais c’était pour offrir un verre à la visite lorsqu’il en venait. Puis, si mon père allait à la pompe avec sa chaudière, c’était par habitude de propreté, pour la rincer avant de traire ses vaches. Vous devriez avoir honte de parler ainsi de ceux qui vous ont logée et nourrie pendant tant d’années.

— Ils m’ont nourrie ! Ils m’ont nourrie ! Mais pas par bonté de cœur, mais parce qu’ils y étaient obligés. Ils avaient reçu la terre à condition de voir à mes besoins.

— Autrement dit, ils travaillaient pour vous faire vivre. Vous avez vécu de leur travail, non du vôtre.

— Tiens, tu es un front noir de me parler comme ça. Tu peux être certaine que je ne te laisserai pas une piastre, pas un sou, en mourant. Compte pas sur mon héritage. Tu ne l’auras pas.

— Non, vous ferez comme la tante Rosalie qui a laissé son argent aux Pères du Saint Esprit.

— Elle a bien fait. Les Pères ont prié pour elle après sa mort.