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fin de roman

de la mort. Ils savaient leurs jours comptés et ils avaient perdu le sourire. Le bel enthousiasme de jadis était disparu.

Irene Dolbrook était une brune élancée avec de grands yeux noirs qui avaient comme des reflets lumineux qui exprimaient tous les sentiments de son cœur et qui exerçaient une étrange fascination. Sa figure possédait un charme, une attirance bien propres à troubler un homme. Elle aussi avait vieilli pendant toutes ces années écoulées. Ses cheveux autrefois très noirs étaient maintenant parsemés de fils d’argent et son visage était celui d’une femme qui a connu les orages et les tourmentes de la vie. Nullement surprenant qu’elle eût aujourd’hui ce désir de repos.

La visiteuse regardait autour d’elle. Ravie, elle voyait la petite maison blanche encadrée de dahlias en fleurs, la verte pelouse et la calme rivière.

« Avec la femme que l’on aime, dans un pareil décor, ce n’est pas étonnant que vous trouviez que la vie est belle », fit-elle en se tournant en souriant vers M. Lantier.

Elle se laissa choir dans une chaise de jardin et pendant quelques moments, comme une personne mourant de soif qui s’abreuve enfin avec un verre d’eau bien fraîche, elle goûtait le silence et la paix qui l’entouraient. Elle eut un sourire.

— C’est un changement avec New York, déclara-t-elle.

Certes, au cours de son existence, elle avait vu bien de beaux endroits, contemplé d’admirables paysages, mais toujours et partout, elle avait été mêlée à la foule, à des groupes d’étrangers qui la traitaient en étrangère ; partout elle avait subi la fâcheuse promiscuité des cohues d’êtres sans âme et sans pensée qui fréquentent les places à la