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fin de roman

l’avenir. La brève visite qu’elle leur avait faite jadis à leur maison de la ville avait laissé en elle un lumineux souvenir. En imagination, elle se représentait leur vaste demeure aux murs couverts de tableaux choisis avec un goût très sûr et il lui semblait entendre encore le refrain de M. Lantier : La vie est belle.

Alors, elle se décida à leur écrire, expliquant que la vie lui avait été dure et qu’elle avait besoin de quelques jours de paix et de repos. La même semaine elle recevait une réponse : « Nous serons heureux de vous revoir. Vous nous trouverez à la campagne, dans notre petite maison blanche devant la rivière. Nous ne pouvons vous promettre des distractions, des amusements, car il n’y a rien de cela ici. Nous ne sortons jamais, nous n’allons nulle part. Nous vivons isolés, solitaires. Comme vous le savez, nous sommes âgés et je dois vous dire que nos figures ont beaucoup changé. Je me demande même si vous pourrez nous reconnaître. Le cœur cependant n’a pas vieilli. Accourez, vous trouverez ici la tranquillité dont vous avez besoin. Nous vous attendons. »

« Je ne demande ni distractions, ni amusements, répondit-elle. Ce que je désire, c’est un changement de figures et de décor. Ce dont j’ai besoin, c’est de repos et de paix. J’arriverai ces jours-ci à votre petite maison blanche. »

Réellement, ils eurent de la peine à se reconnaître en se voyant. M. et Mme Lantier étaient vieux, avaient de vieilles figures. Tous deux étaient malades. Lui était cancéreux, attaqué à l’estomac par l’implacable maladie, et elle, souffrait du cœur, pouvait être foudroyée d’un jour à l’autre par une crise cardiaque. Tous deux avaient un visage désenchanté. Les deux vieux vivaient dans l’ombre