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fin de roman

trois enfants : deux filles et un garçon. Ma sœur Cora avait deux ans de plus que moi et mon frère Jules était trois ans plus jeune que moi. Comme la chose se voit dans nombre de familles, c’est la fille aînée ou le fils aîné qui est le favori de la mère. Ce fut le cas chez nous. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir la prédilection que ma mère marquait à sa fille aînée. Je n’occupais qu’une place bien secondaire dans son cœur. J’en étais douloureusement blessée. Puis, lorsque Jules naquit, ce fut lui qui devint le préféré, qui accapara les préférences de sa mère. Étant le dernier né, le plus jeune, ce fut sur lui qu’elle reporta sa tendresse. Moi, j’étais négligée, peu intéressante. C’est ainsi que je grandis. Je dois dire en toute justice que si ma mère ne s’intéressait pas à moi, mon père, par contre, me témoignait chaque jour un attachement profond qui compensait l’indifférence que me marquait ma mère. Vous dire que j’adorais mon père, exprimerait simplement la mesure de mon sentiment à son égard. J’eus toutefois le grand malheur de le perdre alors que j’avais quinze ans. Ce fut une cruelle épreuve et la douleur que j’en ressentis dura des années. Mon frère Jules mourut six mois plus tard. Prévoyant qu’elle aurait à travailler pour aider la famille, Cora, la favorite de ma mère, celle qui avait toujours été choyée, préféra se marier et nous laissa seules, ma mère et moi. Nous vivions avec les quelques mille piastres d’assurances laissées par mon père. Pour ajouter à tous ces événements, ma mère se remaria après un an de veuvage avec un homme de six ans plus jeune qu’elle. J’avais alors seize ans et j’étais une grande fille. Un an s’était à peine écoulé lorsque mon beau-père commença à tourner autour de moi et à m’importuner de ses attentions. Dès que nous étions seuls un moment, il essayait de m’embras-