Page:Laberge - Fin de roman, 1951.djvu/206

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
198
fin de roman

duisait des lézardes, des fêlures dans l’édifice de ma félicité. Je ne savais trop que penser mais je sentais que mon bonheur était une chose fragile et qu’il était menacé de quelque façon que je ne pouvais imaginer. Je pressentais un danger obscur. Les choses continuèrent ainsi pendant quelques mois mais je constatais que mon mari se détachait davantage de moi. Je m’efforçais d’être coquette, de lui plaire. C’était en vain. Il continuait de rester froid. Un soir, lorsqu’il entra à la maison, il me parut énervé. Je lui demandai si quelque chose l’ennuyait, le tracassait.

— Absolument rien, me répondit-il.

Toute cette nuit-là cependant, je me rendis compte qu’il dormait très mal. Quelques jours plus tard, j’appris la nouvelle. Mon mari avait une liaison avec une femme mariée. Il avait été surpris en flagrant délit par le mari et ce dernier venait d’intenter un procès en divorce à sa femme.

Lorsque indignée et douloureusement blessée, je tentai de reprocher au coupable son manque de loyauté, il se mit à m’accabler de reproches sarcastiques.

— Je t’ai trompée, hein ? Quelle audace ! Je t’appartenais. J’étais devenu ta propriété en nous mariant. Quand une femme achète le jonc de mariage, qu’elle paie pour la cérémonie, le voyage de noces et l’ameublement de la maison elle acquiert sur son homme des droits inaliénables. C’est comme si elle avait acheté un cheval ou une automobile. Et s’il dévie de la voie droite, s’il fait un écart, il commet une infamie. C’est ce que tu penses. Je t’appartiens pour la vie. Tout simplement. Tu ne t’es jamais arrêtée à penser que ta façon de te jeter à ma tête, de t’accrocher désespérément à moi, de me pousser dans le mariage, devait nécessairement, fatalement, amener le ré-