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fin de roman

comme les martyrs qui marchaient à la mort avec allégresse. Évidemment,elle traversait une crise morale. Sa raison était désaxée et elle s’abandonnait à l’irrésistible impulsion qui la portait à s’immoler pour un bien intangible, illusoire. D’ailleurs, elle était mûre pour ces orages intérieurs qui se produisent souvent chez une femme qui arrive à un certain âge.

Assis en face de son amie, Paul Amiens restait maintenant silencieux, se rendant compte que leur destinée se jouait en ce moment, que les paroles étaient vaines.

— Adieu, répéta Mme Louye.

Paul Amiens se leva et sortit avec de sombres appréhensions. En retournant chez lui, il songeait au moyen de sauver leur amour menacé. Il se décida pour le plus simple. Il comprit que la meilleure tactique à employer serait de faire le mort. Troublée par les propos de son fils, son amie voulait rompre le lien qui les unissait l’un à l’autre depuis vingt ans. Eh bien, d’ici à ce que le jeune homme fût admis à la prêtrise, il ne ferait rien, ne tenterait rien pour troubler l’esprit de son amie, pour contrarier son idée de se sacrifier pour rentrer en grâces avec Dieu. Pendant quelques semaines, il l’abandonnerait à elle-même, à ses songes, il ne lui rendrait pas visite, ne la verrait pas. Il serait comme s’il n’existait pas. Pendant ce temps, elle pourrait faire toutes les promesses qu’elle voudrait. Le fils une fois ordonné prêtre, il agirait ensuite. L’état d’exaltation dans lequel elle était en ce moment serait passé et elle serait plus en mesure d’écouter ce qu’il aurait à lui dire. Ainsi donc, à partir de ce jour, Paul Amiens resta chez lui, ne donna aucun signe de vie.

Mme Louye aurait pu croire qu’il avait oublié leur amour.