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fin de roman

peut m’envoyer des épreuves, la douleur. C’est qu’il sait que c’est pour mon bien. Et je le remercie.

— C’est pour moi une soumission trop aveugle.

— Dieu n’est pas aveugle. Si je le prie, si je l’implore, il m’accordera en bon père ce qu’il sait être le mieux pour moi. Il faut se fier à lui, s’abandonner à sa sainte volonté.

— Il est évident que cela évite bien des désappointements, des déceptions, mais vous abolissez ainsi toute votre personnalité. Il faut une foi extraordinaire pour agir ainsi. Chose certaine, ce n’est pas là ma vocation.

Elles suivaient des routes différentes, elles ne parlaient pas la même langue, elles n’avaient pas les mêmes aspirations, le même idéal. L’une vivait la vie spirituelle et l’autre se débattait dans la dure réalité.

Comme l’eau de la Rivière Endormie qui glissait lentement vers le fleuve, s’en allait vers la mer lointaine, ainsi les souvenirs mauvais d’Irene Dolbrook s’éloignaient, se dissipaient dans le vague du passé, les drames de sa vie s’effaçaient de sa mémoire. Par moments, elle aurait pu croire qu’ils s’étaient produits dans l’existence d’une autre personne, qu’ils étaient un récit qu’elle aurait entendu raconter il y avait bien longtemps.

Un soir, lorsqu’elle apparut pour le souper, la visiteuse portait une robe en crêpe de soie noire ornée de passementerie avec motifs décoratifs chinois sur le col représentant une pagode, un mandarin, un dragon et des caractères de la langue de Confucius.

— Vous avez là la plus belle toilette que j’ai jamais vue, déclara M. Lantier qui regardait Irene Dolbrook avec une visible admiration.