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fin de roman

ser ses vacances dans son village où elle rencontra un veuf sans enfant qui lui proposa le mariage. C’était un paresseux, un ivrogne, un sans-cœur qui avait donné bien du mal à sa défunte femme. Tout de même, elle l’accepta et l’épousa. Elle voulait un homme, elle avait besoin d’un homme et, sans réfléchir un moment, elle prit le premier qui se présentait. Pour lui, elle abandonna son emploi à la ville et depuis son mariage, elle a vécu une vie de misère et de privations de tous genres. Imaginez-vous qu’elle a eu cinq enfants. Deux sont dans un hospice, un est placé chez une tante et l’autre chez une autre tante. Forcément, elle garde avec elle l’idiot que vous avez vu et elle est obligée de mendier, de quêter pour arriver à vivre, car son mari boit presque tout l’argent qu’il gagne lorsqu’il travaille. Elle voulait un homme… Ce qu’il y en a des drames dans la vie,

Et la vieille dame se tut.

Irene Dolbrook et son compagnon rentrèrent à la petite maison blanche.

— La vie est belle pour ceux qui savent la faire belle, mais elle est terriblement triste et tragique pour d’autres, déclara la visiteuse en se laissant tomber sur une chaise de jardin devant la rivière.

En imagination, elle revoyait la figure de cauchemar de l’enfant et le masque angoissant de la mère, de cette fille qui avait eu jadis une vie facile, une occupation plutôt plaisante, qui recevait régulièrement son salaire à chaque quinzaine, qui n’avait pas d’inquiétudes quant à l’avenir et qui avait tout sacrifié pour épouser un homme pour qui elle n’avait même pas d’amour. Cela lui gâtait sa visite. Il y avait eu assez de drames dans sa propre vie sans que ceux des autres viennent empoisonner ses heures.