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fin de roman

Saisit-elle le sens profond qu’il attachait à ces paroles ? Probablement, car lorsqu’il proposa d’aller passer une dizaine de jours à Laggan, dans les Montagnes Rocheuses, elle accepta sans hésitation.

— Nous trouverons là le repos, dit-il, en la regardant dans ses grands yeux bleus encadrés d’or.

Décidés, ils partirent. Ils arrivèrent vers le soir.

Et tout de suite, en débarquant, ils eurent la sensation d’être isolés du reste du monde. Ils se trouvaient entourés de tous côtés de hautes montagnes aux cimes de neige et de glace, aux pentes boisées de pins et de sapins qui faisaient comme un cadre vert au lac Louise. La chaîne de montagnes formait comme une immense coupe, une coupe remplie d’une eau verte, troublante, d’une attirance irrésistible.

Mais cette coupe était un abîme sans fond.

Les masses énormes de granit disaient l’éternité des âges et clamaient le néant humain.

Quel merveilleux décor, quelle magistrale scène pour un opéra de Wagner ! se disait Dercey.

Et tout de suite, Aline et son ami sentirent que le passé se détachait d’eux. Ils l’avaient laissé loin en arrière comme une chose que l’on a oubliée. Maintenant, ils se retrouvaient seuls avec leur tendresse, mais un peu comme des êtres qui se sont connus et se sont aimés autrefois, il y a longtemps, et qui se retrouvent.

L’on était aux derniers jours de septembre, et Aline, petite âme d’automne, âme aimante et passionnée, éprise d’idéal et de tendresse, goûtait avec bonheur le charme de cette saison mélancolique. La tristesse des choses finissantes entrait en elle comme une joie. Et Dercey qui subissait plus que jamais le sortilège de ses grands yeux bleus encadrés