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fin de roman

Au souper, ils se trouvèrent presque seuls dans le vaste hall, car il ne restait plus que quelques rares voyageurs, la saison des touristes touchant à sa fin et l’hôtel devant fermer prochainement ses portes.

Ils goûtèrent davantage cette quasi solitude.

En sortant, Aline descendit au jardin, chercher de nouveaux pavots pour sa coiffure. Lorsque Dercey la vit réapparaître, blonde, avec les fleurs rouges dans ses cheveux d’or, et si jolie dans sa simple toilette de crêpe bleu marine, elle lui parut la fiancée qui s’avançait, la fiancée de l’éternelle nuit.

En arrivant à son ami, Aline attacha au revers de son habit, une pensée noire, sa fleur favorite.

Il pria le chef d’orchestre de jouer la barcarolle des Contes d’Hoffman.

Immédiatement, les musiciens attaquèrent le fameux intermezzo.

Puis, graves comme s’ils eussent entendu les sons des orgues sacrées et qu’ils eussent foulé le parvis d’une cathédrale, Aline et Dercey, presque transfigurés, descendirent les degrés de l’hôtel conduisant vers le lac.

Ils allaient vers l’amour, vers la mort.

Ils marchaient vers des Noces Mystiques.

« Belle nuit, ô nuit d’amour, plus douce que le jour », chantait la voix mourante et pâmée des violons.

Aline et Dercey étaient au bord du lac. Lui, détacha l’un des canots de son amarre, et ils prirent place dans l’embarcation.

Aline tenait l’aviron et, recueillie, elle semblait écouter à cette heure suprême, la voix de la chimère qui avait guidé toute sa vie. Le canot s’éloignait doucement sur le lac vert d’une attirance irrésistible. Plus haut que les hau-