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fin de roman

tu n’es pas content, tu iras te régaler ailleurs. Après avoir comploté contre moi et fricoté avec toute cette sale engeance, il veut maintenant se bourrer ici.

Désiez, le mari, n’était pas de bonne humeur non plus. Certes, il était prêt à faire sa part pour l’entretien du père Dubon, mais pas plus, et ces secrètes réunions de famille et ces jasements avaient le don de l’agacer.

Ce soir-là, le curé devait souper chez sa sœur. Puisqu’il avait tant fait que de venir de si loin pour se promener, il lui fallait aller voir tous ses parents et leur dire adieu. Toutefois, la perspective d’aller manger chez Thérèse ne lui sourit guère. Aussi, il ne se hâte pas d’arriver. Et la sœur qui est de mauvaise humeur ne se morfond pas à l’attendre. À 6 h.15, comme le visiteur n’est pas encore là, elle décide qu’on ne l’attendra pas plus longtemps.

— À table, ordonne-t-elle. Il mangera lorsqu’il le voudra. Moi, je suis prête. Tant pis pour les retardataires.

Le mari et les deux enfants s’assoient à leurs places ordinaires et regardent ce siège et ce couvert qui attendent en vain un convive. La femme sert les deux petits toujours très affamés, puis son mari. L’on mange en silence. M. Désiez a hâte que cette soirée soit passée. Le jeune Fernand, six ans, demande si son oncle lui donnera dix sous. Il aime ça les sous, le jeune Fernand. Farina, la fillette de treize ans, ne dit mot mais prend les bouchées doubles. Elle, ce qu’elle aime, c’est manger. Comme toujours, elle s’empiffre. Et la sœur rage silencieusement contre ce frère grossier qui, après s’être invité, ne peut même arriver à temps. Elle en a gros sur le cœur et, depuis des jours, elle s’est bien promis de se décharger de ce qu’elle a amassé. Elle songe à tout ce qu’elle lui dira pour se vider, se soulager.

L’on mange et le curé n’arrive toujours pas.