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fin de roman

Les deux sœurs se séparèrent.

— Bien, maman ne m’a rien laissé. Elle donne tout son argent à Rosabelle, annonça Valentine lorsqu’elle revit son mari. Rien, pas même cent piastres pour m’acheter une toilette de deuil.

— Une toilette de deuil ! s’exclama le mari. Bien, ça me rappelle une aventure d’autrefois. Un soir, avant de te connaître, j’étais entré dans un cabaret de nuit et j’avais aperçu, assise à une table, une grande et maigre fille toute en noir : Chapeau noir, robe noire, gants noirs, souliers noirs et bas noirs. Une toilette de deuil dans une salle de danse, ce n’était pas banal. Alors, hardiment, j’allai à elle et lui proposai de prendre un verre avec moi. Tout de suite elle accepta et je fis venir une bouteille de bière. Lorsque le garçon la versa dans les verres, elle enleva ses gants et je vis avec surprise que ses ongles étaient peints en noir. Tu comprends, cela m’intrigua et je lui dis : Mais pourquoi venez-vous au cabaret avec une toilette de deuil ? Vous êtes bien curieux, répondit-elle, mais je vais vous le dire. J’ai enterré ma mère ce matin. Elle avait de l’argent et une bonne propriété, Mais, le croirez-vous, elle a laissé sa maison et $15,000, tout ce qu’elle possédait, à mon frère qui est médecin et elle ne m’a pas donné un sou. Alors, je me suis dit : Je vais célébrer son enterrement en allant danser vêtue de noir, et me voici.

— Mais pourquoi votre mère n’a-t-elle pas partagé ses biens également entre son fils et sa fille ? demandai-je.

— Ah ! elle m’avait défendu de sortir avec un garçon, puis, quelques jours plus tard, elle m’a rencontrée avec lui. Ça l’a fâchée et elle ne me l’a pas pardonné.

Là-dessus, elle prit une gorgée de bière. Bien ! ma vieille, on s’amuse ce soir ! s’exclama-t-elle d’un ton agres-