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fin de roman

rapidement à une faible distance de la sienne mais elles ne troublaient pas sa quiétude.

Vers midi, l’homme ouvrait une boîte à lunch contenant une couple de sandwiches, quelques biscuits et il mangeait lentement, car le dimanche il n’était pas pressé. Son appétit apaisé, satisfait, il ouvrait une bouteille de bière qu’il avait toujours le soin d’apporter avec lui pour se désaltérer et il buvait à même le goulot. L’après-midi s’écoulait ensuite comme la matinée.

Parfois, des habitants de la rive curieux de voir les traits de ce singulier personnage l’observaient de leur véranda avec une lunette d’approche. C’était un homme de quarante à quarante-cinq ans, le crâne chauve, avec une couronne de cheveux noirs autour de la tête, un long nez et un teint de brique. C’était tout ce qu’ils pouvaient distinguer. Certains jours, ces observateurs ayant aperçu l’homme plonger dans l’onde et ne l’ayant pas vu, par suite d’une distraction momentanée, remonter et se coucher dans sa chaloupe, se demandaient s’il ne s’était pas noyé, s’il n’avait pas succombé soudain à une crise cardiaque. N’était-ce pas un découragé, un désespéré qui avait trouvé ce jour-là le courage de se suicider ? La chaloupe semblait abandonnée au milieu de la rivière. Celui qui l’occupait il y a une demi-heure était invisible. Alors, l’on faisait des suppositions, puis, tout à coup, l’homme qui avait fait un somme dans le fond de son bateau levait la tête et s’asseyait sur son banc. Les curieux de la rive en étaient pour leurs conjectures.

Ce jour-là, un chaud dimanche de septembre, l’homme après avoir dormi pendant quelque temps s’était éveillé et sa pensée avait vagabondé. Il avait évoqué un lointain souvenir. Un jour, lorsqu’il était jeune homme, un cama-