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fin de roman

favorisés de la fortune. Après avoir respiré l’air de son petit domaine, il enlevait ses vêtement qu’il déposait à l’arrière de la chaloupe, ne gardant que son maillot de bain qu’il avait eu la précaution de revêtir avant son départ de la ville. Presque nu, il s’étendait dans le fond de son bateau et se faisait chauffer au soleil. Seul, entouré d’eau, dans la grande paix de la campagne, il se sentait heureux, parfaitement heureux, heureux comme un roi, comme on disait autrefois. Un jour par semaine, l’homme à la chaloupe jaune était heureux et il était satisfait de son lot. Là, il oubliait le dur labeur de la semaine, était son maître et reposait son corps et son esprit. Des compagnons de travail au courant de ses excursions à la campagne avaient en vain tenté de se faire inviter à l’accompagner. Toujours, il restait rétif à toute suggestion du genre. Sans doute, il estimait qu’un contact journalier de six jours était plus que suffisant pour lui. Le septième, il éprouvait le besoin de s’évader de la routine, de se changer les idées.

Après s’être fait chauffer au soleil pendant une demi-heure dans le fond de sa chaloupe, il se levait, contemplait le panorama qui l’entourait, les maisons, les villas, les énormes peupliers qui bordaient les deux rives, regardait l’eau un instant puis plongeait. Il disparaissait pendant une minutée puis on le voyait reparaître à quelque distance du bateau jaune. Ensuite, il se mettait à nager lentement, faisait la planche, ne dépensant aucune force. Lorsqu’il avait suffisamment rafraîchi son corps dans la calme rivière, il remontait dans sa chaloupe et de nouveau s’étendait au fond, se laissant cuire par l’ardent soleil. Pendant ces minutes, il s’efforçait de ne pas penser, oubliait les tracas, les ennuis quotidiens et s’efforçait de vivre une vie animale. Des chaloupes à moteur, chargées de baigneurs, passaient