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fin de roman

En lui-même, il se disait : Elle peut bien me regarder jusqu’à Montréal, je ne décollerai pas. Moi, je voyage pour mon plaisir. Que les autres s’arrangent comme ils le peuvent. Voyant qu’il n’y avait rien à faire de ce côté, la femme tourna la tête à gauche vers les occupants du siège près d’elle, deux jeunes gens dans la vingtaine. Pressé par ce regard qui ne le quittait pas, l’un des garçons se sentit gêné, et se levant : Prenez ma place, madame, fit-il.

— Assieds-toi, Jacqueline, ordonna la mère à sa fille debout elle aussi et portant le bébé.

Alors, l’autre garçon se leva à son tour et sans un mot, sortit de son siège pour que la mère et sa fille pussent s’asseoir. Dans le mouvement que fit celle-ci en se laissant choir sur la chaise, la figure de l’enfant se trouva un moment à découvert.

— Une poupée, c’est une poupée ! prononça à haute voix et d’un ton indigné l’un des voyageurs, assis juste en arrière. C’est un truc qu’elles ont pour se faire donner des sièges.

Maintenant, commodément installées, les deux femmes se mirent à rire.

Les jeunes gens qui avaient cédé leurs places rougirent d’avoir été si naïfs, de s’être fait rouler ainsi.

L’homme qui avait pris la parole déclara : Les femmes sont un peu là pour se moquer des hommes. Et regardant l’un des garçons qui avait donné son siège : Quand vous vous marierez, tâchez de ne pas trouver une petite rosse comme celle-là.

Et le silence se fit dans l’autobus.

En arrivant à la ville, l’homme à la chaloupe jaune alla souper au restaurant. Il était environ neuf heures lors-