Page:Laberge - Fin de roman, 1951.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
fin de roman

chambre minuscule où il passait ses nuits et une cuisinette dans laquelle il préparait lui-même ses repas. Certes, il ne faisait pas fortune. Simplement, il vivotait. Son camarade, M. Péladeau, se faisait remarquer par une grande tache de vin qui lui couvrait la joue gauche, une partie du menton et allait se perdre dans le cou. Cela le défigurait terriblement. Les deux hommes étaient célibataires.

Rendus à destination, ils descendirent du train, se rendirent à leur chaloupe et jetèrent la ligne.

C’était un beau jour de mai et les pêcheurs étaient légion. Plusieurs étaient arrivés de la veille et avaient passé la nuit dans des tentes de fortune. Le plus grand nombre était venu le matin et leurs automobiles et leurs bicyclettes s’échelonnaient sur les bords de la rivière. Sur l’eau, était éparpillée une multitude d’embarcations remplies d’hommes et de femmes absorbées par leur ardent désir de voir le poisson mordre à l’hameçon.

Laissant leur chaloupe dériver lentement au gré du courant, MM. Petipas et Péladeau tenaient leur canne à pêche en savourant la douceur de l’air. Soudain, le premier sentit sa ligne s’agiter fortement. Tout vibrant d’émotion, il tira, mais la proie se débattait énergiquement et le pêcheur se rendait compte qu’il avait là une belle pièce. De constater les efforts désespérés du poisson pour lui échapper, il goûtait une volupté profonde. Puis, d’un coup sec, il le sortit de l’eau, le fit tomber dans le chaland.

— Un achigan de pas loin de quatre livres ! s’exclama triomphalement M. Petipas.

Avec une satisfaction bien légitime, il regardait le poisson qui faisait des sauts dans le fond de l’embarcation.

— Et dire que si j’étais arrivé deux secondes plus tard à la gare, je n’aurais pas pris cet achigan.