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IMAGES DE LA VIE

causerais pas d’embarras, ni d’ennuis. J’ai besoin de repos et je crois que nous nous entendrions bien.

— Ben, dis oui, dis donc oui, fit à mi-voix la vieille tante toute remuée et fascinée par la vue de la soutane.

La nièce se décida. Un peu d’argent pour augmenter son budget ne nuirait pas.

— Je crois que je pourrais vous laisser avoir une chambre. Voyez donc si celle-ci vous convient, fit-elle en ouvrant une porte.

La fenêtre avait vue sur le jardin fleuri et sur le lac.

— On se croirait à l’antichambre du paradis, fit enthousiasmé le jeune ecclésiastique. Je serais très heureux de passer deux ou trois mois ici. Ce fut chose entendue.

Un prêtre dans la maison ! La vieille tante était enchantée, ravie. Au bout d’une semaine, elle s’enhardit à placer un petit bouquet d’iris sur la commode, dans la chambre du jeune ecclésiastique comme elle en aurait déposé un devant l’autel de la Vierge. Puis, ce fut une couple de pivoines et plus tard, un bouquet de roses et de syringas.

Le jeune prêtre lisait son bréviaire en marchant lentement à l’ombre des arbres, il se promenait en chaloupe sur le lac, ou, debout sur le quai, il lançait sa ligne aussi loin qu’il le pouvait dans l’espoir qu’un doré ou un achigan mordrait à l’hameçon. Il ne prenait jamais rien. Mais la vieille tante ne le perdait pas des yeux. Un prêtre chez elle ! C’était mieux que de gagner le gros lot à la loterie. Ce n’était pas l’homme qui la fascinait, car elle arrêtait rarement les yeux sur sa figure. C’était la soutane. Si elle mourrait pendant que le jeune abbé était dans l’humble logis, bien sûr qu’elle irait droit au ciel. Des jours, le prêtre restait enfermé dans sa chambre, à travailler. Il préparait une thèse, avait-il expliqué à ses logeuses. Une thèse, elles ne savaient pas exactement ce que c’était, mais sûrement qu’il fallait être savant pour entreprendre pareille tâche.

Certains après-midi, une voisine venait passer une heure chez la tante et la nièce. L’on causait de choses insignifiantes. La vieille femme aimait à amener l’entretien sur le jeune prêtre. Bien sûr qu’il serait nommé curé un jour. Et pour-