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IMAGES DE LA VIE

LORSQU’ON EST MALADE


La nuit, pendant mon sommeil, la fièvre s’est traîtreusement infiltrée en moi. Elle s’est glissée dans ma chair, mes muscles et jusque dans mes os. Au matin, malgré la tête lourde, les membres las et un malaise accablant, j’ai voulu quand même retourner à la tâche quotidienne, mais le mystérieux et redoutable ennemi m’a dompté, vaincu et, une heure plus tard, j’ai dû retourner à la maison. Frissonnant, mou comme une loque, je me jette entre mes draps. Tout mon être me fait mal. Une détresse sans nom pèse sur mon cerveau. Sous les couvertures, je grelotte pitoyablement. C’est l’animal humain qui souffre. Je me plains, je gémis, je voudrais pleurer. Serai-je encore vivant après-demain ? Je me sens si mal que l’idée de la mort n’a aucune terreur pour moi. En dehors de la fièvre qui me ronge et me torture, tout me devient indifférent.

Je suis l’animal humain qui souffre dans sa chair.

Les heures passent. La fièvre me brûle, me consume. J’absorbe des potions, des médecines. Vêtue de rose, la figure très jeune encadrée de cheveux blancs, la compagne de ma vie me prodigue ses soins, m’encourage et me réconforte.

De mon lit, près de la fenêtre, je regarde au dehors, et ce n’est pas la ville que je vois, mais un immense champ de neige coupé ici et là par la ligne noire d’une clôture. L’horizon là-bas et les fils télégraphiques produisent cette curieuse illusion d’optique. Cette impression persiste, se renouvelle chaque fois que je lève les yeux vers le dehors et finalement, je m’imagine que l’on m’a transporté dans la vieille maison paternelle à la campagne, et que ce sont de vrais champs de neige qui sont là devant moi et qui s’étendent à l’infini. Et, n’est-ce pas, lorsqu’on est là malade dans la vieille maison paternelle, ce doit être pour y mourir…