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LA SCOUINE

Le Schno regarda le passant un moment, puis sans répondre, continua sa besogne.

Vers les sept heures, Marie Charrue parut sur le perron et appelant le Schno, lui ordonna d’aller chercher les vaches. Le fou partit avec sa bêche et s’éloigna au champ, ses pieds nus laissant une empreinte sanglante dans la boue.

À son retour, pendant que Marie Charrue trayait ses bêtes, à côté de la maison, le Schno s’en alla à la grange et s’affaissa sur un tas de foin. Il resta là une demi-heure immobile, comme s’il eût dormi, puis il se retourna et se mit à pousser de longs gémissements étouffés.

L’heure du souper était arrivée et Piguin que son rude travail avait affamé, se hasarda à pénétrer dans la maison. Deux bols de soupe et la moitié d’un pain étaient sur la table. Des pommes de terre fumaient dans le chaudron sur le poêle. Marie Charrue était à couler dans des plats en ferblanc le lait de ses trois vaches. Tofile assis sur une chaise fumait lentement sa pipe. Piguin jeta un coup d’œil sur les victuailles, et Tofile qui vit son regard, lui dit en ricanant :

— Ah ! tu tires la langue. Tu as donc faim. Eh bien, tu auras plus d’appétit demain au déjeuner. En attendant, tu peux aller te coucher.

Le fou renifla l’odeur de la soupe et resta debout, immobile, mais lorsqu’il vit son frère se lever avec un air menaçant, il s’enfuit, et d’un bond, se trouva dehors. Il resta quelques instants en face de la petite fenêtre basse, regardant à l’intérieur de la maison, puis se mit à rôder autour de la misérable baraque, la faim lui torturant les entrailles. Il finit par traverser le che-