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LA SCOUINE

— Sainte Vierge ! s’exclama tout-à-coup la Scouine.

Maladroitement, elle venait de s’écraser un doigt, et sa colère s’accrut de sa douleur. Rentrée à la maison, elle rapporta à sa mère occupée à mettre la table, les propos de Raclor. Mâço baissa la tête sans répondre, et elle eut plus fort que jamais le sentiment de l’injustice du sort. Ces disputes entre ses enfants enfiellaient sa vieillesse. Tristement, elle continua sa besogne, son goître énorme, semblable à un pis de vache, ballant sur sa poitrine.

Le lendemain, Raclor étant allé vendre une charge de pois, rencontra à l’entrée du village son frère Tifa qui, depuis quelques semaines, faisait le métier de « déchargeux » de poches. Il avait un air abruti, un vieux chapeau de feutre mou, tout bossué sur la tête, la chemise entrouverte sur la poitrine velue, et le pantalon de bouracan retenu par une large ceinture de cuir.

— As-tu besoin de quelqu’un pour t’aider ? demanda-t-il.

— Monte, répondit Raclor.

Tifa sauta dans la voiture, et les deux hommes commencèrent à causer.

Une fois les pois livrés et son bon dans son gousset, Raclor invita Tifa à prendre un coup. Celui-ci fut tellement enchanté des égards de son aîné qu’au troisième verre de whiskey, il acceptait avec empressement de le seconder dans le projet dont il l’entretenait.

Vers les cinq heures de l’après-midi, la Scouine qui avait fait le guet toute la journée, vit s’en venir Tifa et Raclor. Celui-ci conduisait une paire de chevaux, et l’autre portait une hache sur l’épaule. Ils