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Page:Laberge - La Scouine, 1918.djvu/145

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LA SCOUINE

rappellent le temps où il était réellement un homme, le temps où il travaillait.

Les jours de marché, il se rend sur la place publique pour causer avec les cultivateurs. Il s’informe des gens, des récoltes, des travaux, du prix des produits.

Depuis deux ans, il souffre en silence. Jamais il n’a voulu retourner voir la vieille maison où s’est écoulé sa vie, mais depuis quelques jours, la tentation est trop forte, et ce matin, il n’y tient plus. Il faut qu’il aille revoir la terre paternelle. Il ne peut presque pas manger au déjeuner, car jamais de sa vie, il n’a éprouvé une si grande émotion. Il part, et devant l’église, il aperçoit la Scouine qui guette le vicaire qui doit passer pour aller dire sa messe.

Charlot s’en va à travers champs. Tout-à-coup, il se mit à siffler. Et il va, il va. Jamais il n’a marché si vite. Il se sent rajeuni.

Il traverse un petit bois de noyers où il allait gauler des noix à l’époque des labours. Charlot revit le temps où il construisait sa maison, les soirs où il allait rendre visite à la servante des Lussier. Joyeux et toujours sifflant, il enjambe les clôtures. Le voici qui passe près d’un arbre épineux dans lequel il cueillait de bonnes senelles rouges à l’automne. Il aperçoit la vieille maison où s’est écoulée sa vie. Et au même instant, une odeur vient caresser ses narines. Il ne s’y trompe pas, c’est le four que l’on chauffe avec des éclats de cèdre. Bleuâtre, légère, odorante, la fumée s’élève de la cheminée. Charlot se sent tout remué. Il arrive. Un chien jaune accourt et aboie après lui. Bougie, le nouveau propriétaire, qui se dirige vers les bâtiments, rappelle la bête et adresse le bonjour au visiteur. Il