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Page:Laberge - La Scouine, 1918.djvu/16

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LA SCOUINE

— Mon vieux, j’cré ben que j’vas être malade,

— À soir ?

— J’cré qu’oui.

— Ça serait teut ben mieux d’aller cri le docteur.

— J’cré qu’oui.

— J’irai après manger.

Dans la pièce où l’ombre écrasait le faible jet de lumière, le silence se fit plus profond, plus lourd.

Soudain, un grondement souterrain ressemblant à un sourd roulement de tonnerre se fit entendre. C’était un manœuvre, le Petit Baptiste, qui venait de basculer dans la cave profonde un tombereau de pommes de terre. L’instant d’après, il entrait dans la cuisine où Deschamps attendait d’un air morne.

L’homme de peine, très petit, était d’une laideur grandiose. Une tête énorme de mégacéphale surmontait un tronc très court, paraissait devoir l’écraser de son poids. Ce chef presque complètement dépourvu de cheveux, ressemblait à une aride butte de sable sur laquelle ne poussent que quelques brins d’herbe. La picotte avait outrageusement labouré ses traits et son teint était celui d’un homme souffrant de la jaunisse. Ajoutons qu’il était borgne. Sa bouche édentée ne laissait voir, lorsqu’il l’ouvrait, que quelques chicots gâtés et noirs comme des souches. Il se nommait Baptiste Bagon dit le Coupeur. En entrant, il jeta dans un coin son vieux chapeau de paille, puis ayant relevé les manches de sa chemise de coton, se mit à se laver les mains dans un bassin en bois. Pendant qu’il procédait à cette sommaire toilette, la porte s’ouvrit brusquement, et trois bambins entrant à la course, allèrent s’asseoir côte à côte sur un sofa jaune disposé le long du mur. Ba-