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Page:Laberge - La Scouine, 1918.djvu/17

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LA SCOUINE

gon s’essuya les mains au rouleau en toile accroché à la cloison, et vint se mettre à table. Gourmandement, il examina d’un coup d’œil ce qu’il y avait à manger et sa figure exprima une profonde déception. Il avait espéré mieux et était cruellement déçu. Les enfants s’approchèrent à leur tour et le repas commença. Deschamps tenait son bol de soupe à la hauteur de sa bouche pour aller plus vite. Comme lui, les autres lapaient rapidement, et les cuillers frappèrent bientôt bruyamment le fond des assiettes vides. Bagon piqua de sa fourchette un morceau de lard et deux grosses pommes de terre à la coque, à la mode de Mâço, c’est-à-dire non pelées, et cuites dans le canard. À la première bouchée, il fit une vilaine grimace et ses joues eurent des ballonnements grotesques, de brusques et successifs mouvements de droite et de gauche.

— Batêche, jura-t-il enfin, c’est chaud !

Il s’était brûlé la bouche.

Des larmes lui étaient venues à l’œil et roulaient sur sa face ravagée.

Les petits, amusés, riaient en se poussant du coude.

Au dehors, les voitures revenant de porter des charges de grain au village passaient au grand trot avec un bruit de ferrailles et de sabots sur la route dure comme la pierre. Elles s’entendaient de très loin dans la nuit noire et froide et tenaient tard en éveil les chiens qui jappaient au passage. La Saint-Michel, date des paiements, approchait, et les fermiers se hâtaient de vendre leurs produits. Granges et hangars se vidaient et l’on ne gardait que juste la semence pour le printemps suivant.

Le repas continuait monotone et triste.