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LA SCOUINE

Et chacun mastiquait gravement le pain sur et amer, lourd comme du sable, que Deschamps avait marqué d’une croix.

— Allez donc m’cri ane tasse d’eau, dit Bagon en regardant du côté des jeunes.

Pas un ne bougea.

Alors Bagon se leva lui-même, mais il en fut pour son trouble. Le gobelet résonna sur le fond du seau. Celui-ci était vide. Bagon revint s’asseoir. Il avait soif et était tout rouge, mais plutôt que d’aller au puits, il préférait souffrir. Comme dessert, il alluma sa courte pipe de terre, et une fumée bleue et âcre s’éleva lentement au plafond traversé de solives équarries. Repus, les enfants regardaient les figures fantastiques que leur imagination leur faisait entrevoir dans le crépit du mur. Ils voyaient là des bêtes monstrueuses, des îles, des rivières, des nuages, des montagnes, des guerriers, des manoirs, des bois, mille autres choses…

De temps à autre, Bagon lançait devant lui un jet de salive. Les pieds de Mâço, en ses continuels va et vient, pesaient plus lourdement, traînaient comme ceux des vieux mendiants à la fin de la journée.

Le silence régnait depuis longtemps.

— Habillez-vous, fit tout-à-coup Deschamps, en s’adressant à sa progéniture. Vous allez aller coucher su les Lecomte.

Ce fut une stupeur chez les trois bambins qui regardèrent avec ennui du côté de la porte. Charlot, le plus jeune, ne parvenait pas à trouver son chapeau.

Sur l’ordre de Deschamps, Bagon alla atteler un cheval à la charrette. Le père et les enfants sor-